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SA VIE — SES ŒUVRES.

Chez eux les études dramatiques sont superficielles. Pour leur donner en variété ce qui leur manque en profondeur, ils ont recours à des collaborations dont le résultat est l’indécision dans le dessin des caractères et la mollesse dans le style. Bouilhet pratiquait l’art dramatique tout autrement. Son aversion était marquée pour le travail facile ; le banal et le convenu, le vulgaire et le prosaïque répugnaient à sa conscience d’artiste. Aussi a-t-il jeté presque toutes ses œuvres dans le moule du vers. — Pour lui, la prose était la statue de plâtre, et la forme poétique était la statue de marbre. C’est cette forme même qui préservera dans une certaine mesure son nom des injures du temps. — La parole harmonieusement cadencée et rimée qu’on a comparée à un élixir magique, infaillible contre la vulgarité, imprime à la pensée dramatique je ne sais quelle résistance qui lui conserve une sorte de fraîcheur et de jeunesse en dépit des années. Bien des auteurs ont eu des succès plus bruyants et plus nombreux que ceux de Louis Bouilhet ; mais vienne le Temps, vienne le changement des mœurs, viennent les transformations sociales, leur œuvre sera absolument oubliée et ne sera guère tirée de l’oubli que par des curieux comme un spécimen plus ou moins douteux de notre époque. Le style, le procédé, les personnages, tout aura vieilli, tout sera démodé. L’œuvre de Louis Bouilhet n’aura point un sort aussi lamentable. Ses personnages, Mme de Montarcy, Fernand et Dolorès, Hélène Peyron. Condé et la comtesse de Brisson, don Pèdre de Torrès, Poltrot de Méré laisseront peut-être mieux qu’un souvenir chez les bibliophiles. Le spectateur même pourra retrouver quelque émotion en prêtant l’oreille à ces vers d’une facture cornélienne que le parterre soulignait jadis par ses applaudissements. Ces scènes plus ou moins bien amenées et conduites, mais saisissantes, ces coups de