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SA VIE — SES ŒUVRES

« … j’ai rencontré plusieurs fois à Paris le brave M. Magnier ; j’ai revu également M. Chéruel. Comme nous voilà loin de ces temps-là !… »[1] M. Magnier et M. Chéruel étaient ses anciens professeurs au lycée de Rouen.

Le baccalauréat passé, il fallait songer à suivre une carrière. Sa famille l’y exhortant, il prit ses inscriptions à l’école de médecine de Rouen et, comme le poëte Hœlderlin de Lauffen, le camarade et l’ami d’Hegel, il se mit, pour vivre, à donner des leçons de lettres. Le temps qu’il ne consacrait pas à ses études médicales ou aux répétitions était réservé à la littérature et surtout à la poésie, car l’étudiant se sentait encore les aspirations littéraires qui s’étaient manifestées chez l’écolier. Cette existence devint bientôt très pénible. Deux ans plus tard, nommé interne à l’Hôtel-Dieu de Rouen, il entrait sous la direction du célèbre docteur Flaubert, le père de Gustave Flaubert, le romancier, et d’Achille Flaubert, le chirurgien, dans le service de chirurgie. «… Comme il ne pouvait être à l’hôpital pendant la journée, ses soins de garde, la nuit, revenaient plus souvent que ceux des autres ; il s’en chargeait volontiers, n’ayant que ces heures-là pour écrire ; et tous ses vers de jeune homme, pleins d’amour, de fleurs et d’oiseaux, ont été faits pendant des veillées d’hiver, devant la double ligne des lits d’où s’échappaient des râles, ou par les dimanches d’été, quand le long des murs, sous sa fenêtre, les malades en houppelande se promenaient dans la cour. Cependant ces années tristes ne furent pas perdues ; la contemplation des plus humbles réalités fortifia, la justesse de son coup d’œil, et il connut l’homme un peu mieux pour avoir pansé ses plaies et disséqué son corps[2]… »

C’étaient bien des fatigues et bien des dégoûts pour un poëte, mais il fallait vivre. Sortir d’un hôpital pour

  1. Souchières, Nouvelliste de Rouen du 23 août 1882.
  2. Préface des Dernières Chansons, p. 9.