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LOUIS BOUILHET

Salut ! être nouveau ! mais sache-le bien, ces ossements, ces squelettes à demi-rompus que tu trouveras sur les grèves, ce sont nos débris, des débris d’ancêtres.

… Ces débris ont vécu dans la lumière blonde.
Avant toi, sur la terre, ils ont marqué leurs pas.
Contemple avec effroi ce qui reste d’un monde,
Et d’un pied dédaigneux ne les repousse pas !

C’était le peuple ardent, la race échevelée
Qui lançait son désir à l’assaut de tes droits.
Pour atteindre d’avance à ta sphère étoilée,
Nos cœurs impatients brisaient nos corps étroits.

Nous les voulions aussi tes destins magnifiques !
Pour loger ton bonheur, ô frère glorieux,
Le penseur a bâti des cités pacifiques,
Le poëte a rêvé des îlots merveilleux.

Ils allaient réveillant les âmes assoupies,
Ils montraient de la main l’horizon souhaité.
Et sous le manteau d’or des saintes uopies,
Le monde à son déclin couvrait sa nudité !

Ils ont bu la ciguë et vidé les calices,
Sur le gibet infâme on a cloué leurs chairs ;
Mais ils te souriaient au railie’i des supplices,
Et sont morts l’œil fixé sur ton calme univers.

Ne les méprise pas ! Les destins inflexibles
Ont posé la limite à tes pas mesurés :
Vers le rayonnement des choses impossibles
Tu tendras, comme nous, des bras désespérés…

… Tu n’es pas le dernier ! d’autres viennent encore
Qui te succéderont dans l’immense Avenir !
Toujours, sur les tombeaux, se lèvera l’aurore,
Jusqu’au temps inconnu qui ne doit point finir.

Et quand tu tomberas sous le poids des années,
L’être renouvelé par l’implacable loi.
Prêt à partir lui-même au vent des destinées,.
Se dressera plus fort et plus brillant que toi !

C’est sur cette vision de l’Avenir que le poëte termine la série des splendides tableaux qu’il a fait passer devant nos yeux.