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SA VIE — SES ŒUVRES

où chevauchent plusieurs Bédouins armés de longs fusils. Le vent gonfle la tente et le burnous ; les armes scintillent au soleil. Ils vont à travers la campagne. Un buffle trapu, couché avec cent autres tranquillement dans l’eau, se soulève et les regarde passer, pendant que des chameaux au col velu pataugent gravement dans la vase. Puis ce sont des dattiers qui laissent tomber gracieusement leurs palmes épaisses. Une ville se montre dans le lointain, elle se rapproche, et les minarets ne tardent point à découper nettement leurs mille dentelures sur le fond clair du ciel. Voici les fellahs, la servante noire aux bras tatoués par la peste, le joueur de rebec[1], les momies[2] aux noires bandelettes, mornes habitants des antiques hypogées. Un soleil de feu éclaire ces tableaux resplendissants. Mais la journée avance, le soleil devient moins ardent, le soir va arriver. Le désert s’enveloppe peu à peu d’un teinte grisâtre à laquelle succède comme un tissu moelleux de vapeurs violettes. Ce voile se dissipe : les collines sablonneuses et les ruines s’empourprent légèrement pendant que les Pyramides esquissent au loin leurs pointes massives et noirâtres.

À ces peintures exotiques se mêlent des pièces d’un sentiment plus personnel, d’une insouciante fierté, voilant parfois une exquise délicatesse d’âme. Le poëte essaie toutes les couleurs et toutes les nuances, tous les tons et toutes les gammes. Passer de la fantaisie au sentiment, d’un badinage à une pensée philosophique, d’une légende et d’un mythe à la réalité de chaque jour, n’est pour lui qu’un jeu. Un instant tourné vers le madrigal, il est plein de mignardise et de mièvrerie[3] ; un instant après, il quitte ses pastels, les bergeries, les boudoirs,

  1. À Maxime Ducamp.
  2. Les plaintes de la momie.
  3. Portrait. Chatterie. Amour double. Première ride.