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Page:Anicet, Masson - Les Quatre Fils Aymon, 1849.djvu/12

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RICHARD.

Brave Landry… vous arrivez bien, car voici la nuit venue ainsi que l’heure du repos…

LANDRY.

Votre chambre est prête… Odette, allume les branches de mélèze pour éclairer nos hôtes !

RENAUD.

Ce soin ne la regarde pas… nous vous conterons cela, Landry ; mais à partir de ce jour Odette n’est plus servante.

GRIFFON.

Elle est bien trop gentille pour ça… Attendez, je vais allumer. (Il disparaît un moment et revient après avec des éclats de mélèze allumés.)

LES QUATRE FILS AYMON, à Odette.

Bonsoir, sœur.

ODETTE.

À demain, mes frères !

GRIFFON.

Voilà les flambeaux ! (Il les distribue.)

LANDRY.

Mes jeunes seigneurs, votre chambre est par ici ! (Il entre à gauche.)

ODETTE.

Ma grange de ce côté.

RICHARD, bas à ses frères.

À l’avenir, l’un ou l’autre de nous veillera chaque nuit.

RENAUD.

Pendant celle-ci, nous veillerons tous les quatre !

GRIFFON, à lui-même.

Ah ! comme je vas bien dormir !

RICHARD, bas à Griffon.

Tu ne te coucheras pas.

GRIFFON, avec effroi.

Hein !

LES QUATRE FILS, remontant vers le fond ainsi que Griffon.

Nous veillerons !

ODETTE, à elle-même, entrant à droite.

Viendra-il ?

(Le théâtre change et représente une petite grange formant chambre rustique de jeune fille ; au fond, un lit de mousse et de joncs ; à gauche, une fenêtre ouvrant sur la campagne ; à droite, une porte.)


Scène VII.

ODETTE, seule ; elle entre, tenant le flambeau de mélèze, qu’elle vient poser dans la cavité d’une souche de bois.

Ils sont bons et braves, les fils de ma protectrice… mais pourquoi vouloir changer mon existence ?… peut-elle être plus belle… dans l’humble condition pour laquelle je suis née, le ciel m’apporte des joies que n’ont pas mes compagnes… l’isolement, il est vrai, m’attristait autrefois… mais à présent, je ne suis plus seule… sa pensée habite avec moi… c’est devant la croix de ce chapelet, que ce soir je veux prier pour lui… et aussi un peu pour moi… (Elle commence à se déshabiller.) Oui, avant de m’endormir, voilà ce que je dirai à Dieu… « Seigneur, Vous-êtes l’auteur des innocentes amours… le mien est votre ouvrage, il ne peut vous offenser… Si je dois partir demain, faites que celui que j’aime me retrouve bientôt… et que je puisse encore entendre sa voix… » Attachons le chapelet au plus bel endroit de ma chambre, près de cette fenêtre d’où j’aperçois son signal… (Voyant poindre une clarté.) Oh ! la lumière, la lumière du feu follet… elle approche !… il va venir… il va venir… (Elle éteint vivement l’éclat de mélèze, il fait nuit complète sur le théâtre ; regardant vers la fenêtre.) La lueur qui marque son chemin, marche encore… mais elle suit ce soir des détours inaccoutumés… enfin elle avance… pourquoi s’arrête-t-elle ?… elle a disparu ! (On entend pousser un cri.) Mais d’où vient ce cri ?… j’ai peur ! (On entend un cliquetis d’armes.) Le bruit des armes, maintenant ; que se passe-t-il donc ?… Ah ! je veux… je veux tout savoir. (Elle ouvre la porte et va pour sortir ; au même moment Renaud et Richard, éclairés par Raoul et Roland, entrent soutenant un cavalier blessé ; ils ont tous quatre l’épée nue à la main.)


Scène VIII.

ODETTE, ROLAND, RAOUL, RICHARD, RENAUD, AMAURY, blessé.
ROLAND, entrant le premier.

Par ici… par ici, nous aurons du secours !

ODETTE.

Mon Dieu ! que s’est-il donc passé ?…

RAOUL.

Parbleu… un meurtre, rien que ça… ils étaient dix contre un homme.

RICHARD, aidant Renaud à asseoir Amaury.

Et voilà la victime…

ODETTE, n’osant le regarder.

Grand Dieu ! si c’était !… (Regardant.) Qu’il est gentil !

RENAUD, contemplant Amaury.

Mais je le reconnais, c’est notre ami du cloître de Saint-Julien des Bois.

RAOUL, ROLAND et RICHARD.

Amaury !

ODETTE, à elle-même.

Il ne m’a pas dit son nom !

RICHARD.

Un moment plus tard, il expirait sous les coups de ses meurtriers.

RENAUD, qui a examiné la blessure d’Amaury.

Le fer a glissé… je m’y connais, la blessure est légère.

RICHARD.

En effet, il rouvre les yeux !

RENAUD.

Il a serré ma main !

RAOUL.

Il va parler.

AMAURY, avec un soupir.

Odette !

ODETTE.

Sa voix !… c’est sa voix… c’est lui !… ah ! quel bonheur que ce soit lui !…

ROLAND.

Qu’avez-vous donc, Odette… ce jeune homme ?…

ODETTE.

C’est lui !…

RENAUD.

C’était Amaury ! mais vous ne pouvez aimer cet homme !

AMAURY, bas et revenant à lui.

Par pitié… mon ami, mon sauveur, ne me trahissez pas !… (Haut.) Je ne dois plus revoir Odette !

ODETTE.

Que dit-il ?…

AMAURY.

Plus que jamais, nous voilà séparés !…

ODETTE.

Par ceux qui vous ont frappé peut-être… par vos ennemis !…

AMAURY.

Ces ennemis qui m’attendaient dans l’ombre… sont les vôtres, Odette.

ODETTE.

Les miens ?…

AMAURY.

Oui, c’est contre eux que j’ai voulu défendre votre scapulaire, qu’ils m’ont arraché.

RENAUD.

C’est pour un scapulaire qu’ils ont mis si lâchement vos jours en péril… Quel intérêt pouvaient-ils donc avoir à s’en emparer ?

AMAURY.

Quel intérêt !… sachez tous un secret que moi-même je n’ai découvert que ce soir, et qu’en toute hâte, je venais vous révéler, Odette… Ce scapulaire renfermait caché sous une sainte image, un parchemin…

ODETTE.

Oui, et sur ce parchemin il y avait des caractères… mais personne ici ne sait lire.

AMAURY.

J’ai déchiffré ces caractères tracés d’une main tremblante, et voilà ce que j’ai lu : « J’atteste devant Dieu, que celle qui porte cette médaille et cette chaîne… est la fille de Charlemagne… et je signe, moi, Théodora de Ravenne, sa mère… »

ODETTE.

Qu’entends-je !

LES QUATRE FILS AYMON.

La fille de Charlemagne !

ODETTE.

Oh ! c’est impossible !

AMAURY.

Ces caractères tracés par la main de votre mère, je les ai lus !

RENAUD.

Et les mots écrits sur le parchemin sont bien ceux que vous avez dits ?