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Page:Anicet, Masson - Les Quatre Fils Aymon, 1849.djvu/27

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GRIFFON.

Mais non, animal, puisqu’elle avait fait vœu, si elle revenait saine et sauve, d’aller en pèlerinage à Sainte-Rosalie.

LANDRY.

Tout près d’ici.

GRIFFON.

Elle y est en ce moment, et elle m’a envoyé vous annoncer qu’elle va venir elle-même, en personne, vous remercier de vos soins maternels.

LANDRY.

C’est-y ben possible !… Mais, oui, la voilà !

GRIFFON, se levant à moitié.

La voilà ?… Petits nègres, levez vite bon blanc !

Les Mêmes, ODETTE, suivie d’hommes d’armes qui restent sur le seuil.
ODETTE, aux hommes d’armes.

Merci, mes amis, merci de m’avoir fait si bonne et si fidèle escorte. Bonjour, maître Landry.

LANDRY, s’inclinant.

Vous, chez moi !

ODETTE.

Oui, j’ai voulu revoir mon val des Roses, ma petite grange où tant de souvenirs me rappelaient.

GRIFFON.

C’est pourtant bien mal meublé ici.

ODETTE.

Ah ! te voilà ! Eh bien, a-t-on des nouvelles de Roland et de Raoul ?

GRIFFON.

Pas encore.

ODETTE.

Mon Dieu ! si Renaud et ses frères étaient arrivés trop tard !

GRIFFON.

Trop tard !… Ils marchent bien trop vite pour ça : j’en sais quelque chose. C’est par cette route qu’ils doivent passer pour revenir au château.

LANDRY.

Du haut du calvaire on voit loin dans la campagne et, pour que vous soyiez plutôt prévenue, j’y cours. (Il sort.)

GRIFFON.

Moi, je m’y ferai porter. (Il sort suivi de ses nègres.)


Scène XIII.

ODETTE, seule.

Oui, c’est ici que je veux les attendre, dans cet humble asile où Amaury m’a dit je t’aime, où les fils de la comtesse Aymon m’ont nommée leur sœur. Dieu m’est témoin que, lorsque j’acceptai leur généreux dévouement, aucune pensée d’ambition n’était entrée dans mon âme. Mais aujourd’hui j’ai besoin de la grandeur, pour que ma reconnaissance puisse égaler leurs bienfaits ; j’ai besoin de la puissance, pour qu’Amaury doive à mon amour le bonheur et la liberté.

CRIS AU DEHORS.

Vivent les fils Aymon !

ODETTE.

Ah ! ce sont eux… Oui, les voilà ! et les voilà tous les quatre.


Scène XIV.

ODETTE, RENAUD, RICHARD, ROLAND, RAOUL.
RICHARD, entrant.

Richard, Raoul, voici notre sœur.

ODETTE.

Frères bien-aimés, que m’a donné ma bienfaitrice, vous voilà donc tous près de moi !

ROLAND.

Chère Odette !

RAOUL.

Renaud et Richard sont arrivés à temps !

ODETTE, à Renaud.

Pourquoi ce costume ?

RENAUD.

Nous avions dû le prendre pour parvenir sans éveiller de soupçons jusqu’aux condamnés ; car ils étaient condamnés ! ils allaient mourir, nos pauvres frères, parce qu’au terme convenu nous n’étions pas de retour, et ces deux nobles cœurs n’avaient pas douté de nous ; Raoul et Roland seraient tombés sous la hache du bourreau sans proférer une plainte, et leur dernière pensée eût encore été pour Odette et pour nous.

ODETTE.

Oh ! béni soit ce jour, car je suis heureuse ! oh ! oui, bien heureuse !

RICHARD.

Et pourtant, Odette, vos regards cherchent encore celui que désire votre cœur… Amaury.

ODETTE, vivement.

Vous l’avez revu ?

ROLAND.

Oui.

ODETTE.

Il est libre ?

RAOUL.

Il a vaillamment combattu pour nous.

RENAUD.

Il a refusé de prononcer ses vœux… il a rejeté la robe de novice qui vous eût éternellement séparés. Il a pris l’épée du soldat, l’épée qui, dans sa main jeune et ferme, peut l’élever jusqu’à vous, Odette.

ODETTE.

Pourquoi ne vous a-t-il pas accompagnés ?

RICHARD.

Il doit nous rejoindre ici, et c’est avec lui que nous nous remettrons en route pour vous rendre enfin à Charlemagne qui a pu douter un instant de notre parole.

RENAUD.

Et qui, je l’espère, ordonnera le jugement de Dieu entre Maugis et moi… (Les trois frères font un mouvement.) Oh ! mes frères, vous me ferez cet honneur de me laisser vider seul notre commune querelle. Je vous jure qu’une fois au bout de mon épée, Maugis l’imposteur ne m’échappera pas.


Scène XV.

Les Mêmes, AMAURY, GRIFFON.
GRIFFON.

Par ici, messire Amaury, par ici.

ODETTE.

Amaury…

AMAURY, s’agenouillant.

Madame !

RICHARD.

Nous vous attendions, messire cavalier.

GRIFFON.

Pour rentrer au château, n’est-ce pas ?

RICHARD.

Pour continuer le voyage. En route, Griffon.

GRIFFON.

Déjà !

RENAUD.

Et sur notre chemin, Odette, plus d’ennemis, plus d’obstacles.

AMAURY.

Je venais vous annoncer, au contraire, qu’une barrière insurmontable allait vous séparer encore du camp de Charlemagne.

TOUS.

Parlez, parlez.

AMAURY.

Gurth, qui a quitté tout à l’heure l’abbaye de Saint-Julien pour suivre ma fortune, a su que le traître Maugis avait, par ses maléfices, excité, armé contre vous les douze pairs du royaume. Ces guerriers, invincibles jusqu’aujourd’hui, ont juré qu’ils ne laisseraient pas arriver jusqu’à Charlemagne ceux qu’ils nomment des imposteurs.

ODETTE.

Oh ! mon Dieu !

AMAURY.

Qu’allez-vous faire ?

RENAUD.

Partir.

AMAURY.

Que voulez-vous tenter ?

RICHARD.

Le passage.

AMAURY.

C’est une lutte folle !

RAOUL.

Peut-être !