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je foule aux pieds tes habits allemands, ton chapeau allemand, toute la friperie de ton pays !… Ah ! voilà dix-huit ans que je soupirais après ce bonheur-là… J’avais renié ma terre natale, j’avais contenu ma fierté de Parisien, je viens d’avouer ma patrie, je suis content, je suis heureux : vive l’empereur !

FRÉDÉRIC.

Je vais te faire jeter dehors par mes gens !…

Il va pour sortir.

CHAMBORD, l’arrêtant.

Oh ! ne joue pas des jambes, ou je te colle sur la muraille, que t’en sortiras à l’état de feuille de papier… immobile, figure de cire ; ne bronche pas d’une semelle, te dis-je !… T’as insulté mes compatriotes, toi… t’as dit qu’on avait fait peur à Pascal… mais c’est un lapin solide… qui a travaillé plus de casaquins dans sa vie que tu ne t’es caché de fois dans la tienne.

Air des Frères de lait.
––––Tu mécanise ici mon camarade
––––De son honneur tu t’ permets de douter !…
––––Il te tuerait, s’il n’était pas malade ;
––––Mais j’ai l’ bonheur, moi, de me bien porter,
––––Et nous allons un peu nous becquoter.
––––En p’tits morceaux il faut que je t’arrange,
––––Apprête-toi, vieux baron vermoulu !
––––D’puis l’ régiment, ah ! la main me démange
––––J’ vas m’en donner pour tout l’ temps qu’ j’ai perdu !

Il s’avance sur Frédéric, qui recule.

FRÉDÉRIC.

Au secours ! au meurtre ! au feu !

D’un côté paraissent Wilbelm, qui court à Frédéric, et de l’autre Pascal, qui retient Chambord.

WILHELM, passant entre Frédéric et Chambord.

Monsieur le baron !…

PASCAL, retenant Chambord.

Chambord !

CHAMBORD.

Laisse-moi, Pascal, faut que je te venge, faut que je démolisse ce vieux monument-là !

PASCAL.

Je ne te laisserai pas toujours prendre ma place, Chambord. (Passant entre Chambord et Wilhelm[1].) Tout n’est pas fini d’ailleurs entre ce jeune homme et moi.

CHAMBORD.

A la bonne heure. (A part.) Le sang lui sera remonté.

PASCAL, avec douceur à Wilhelm.

Je veux vous parler… mais à vous seul.

FRÉDÉRIC.

Eh ! Wilhelm, laissez là cet homme, et rentrons au salon, où ma fille et nos amis nous attendent.

WILHELM.

Je vous rejoindrai, monsieur le baron.

Frédéric sort par la gauche, Chambord par le fond

CHAMBORD, en sortant.

Pascal, je suis là.


Scène XI.

WILHELM, PASCAL.
WILHELM, froidement ; il s’est assis.

Que voulez-vous de moi, monsieur ?

PASCAL, avec émotion.

Oh ! vous pouvez me regarder, et me regarder en face ; je ne suis pas un lâche !… Si j’ai souffert l’insulte, c’est qu’elle partait d’un enfant, c’est que cet enfant était celui de Wilhelmine ; pourtant cette insulte a imprimé sur mon front une tache que vous allez vous-même effacer tout-à-l’heure… car je puis vous prouver maintenant que je ne suis pas un calomniateur ; oui, je puis vous le prouver, grâce à votre mère.

WILHELM, se levant.

Ma mère !

PASCAL.

Aujourd’hui, comme il y a dix-huit ans, elle vient en aide au pauvre soldat. Il y a dix-huit ans, on en voulait à sa vie, elle la lui conserva ; aujourd’hui on en veut à son honneur, elle va le lui rendre… Je vous ai dit que votre mère m’avait aimé.

WILHELM.

Monsieur…

PASCAL.

Eh bien ! si cet amour lui avait survécu, si, son lit de mort, votre mère avait pensé au pauvre Pascal… elle était bien sûre qu’il reviendrait.. il le lui avait promis… si elle avait voulu lui laisser un dernier adieu, un souvenir ?

WILHELM.

Un souvenir !

PASCAL.

Cette lettre vient de m’être remise par Mina, la compagne, la suivante fidèle de votre mère ; je n’ai voulu l’ouvrir que devant vous.

WILHELM.

C’est l’écriture de ma mère.

PASCAL.

Oui, oui, cette lettre est bien d’elle ! lisez, lisez vous-même.

WILHELM, lisant.

« Mon ami, lorsque je t’ai envoyé mon anneau, lorsque je t’ai répété que je ne serais jamais qu’a toi, un lien sacré nous unissait. A ton retour ici, tu trouveras, je l’espère, un nouveau gage de notre amour ; tu trouvera à la place de Wilhelmine, qui va mourir, un enfant que chacun saluera du titre de baron de Ranspach. Pascal, je te lègue mon fils… le tien… »

PASCAL.

Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! (Il arrache la lettre à Wilhelm.) Mon fils ! j’aurais un fils, moi… et ce serait…

  1. Frédéric, Wilhelm, Pascal, Chambord.