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jure… Ah ! les farceurs ! ils boivent mon rhum de cent sept ans.

Air : Restez, troupe jolie
––––––Ils ont dévalisé mes caves,
––––––Tué six pigeons que j’élevais,
––––––Ce n’est pas tout, peste ! ils sont braves !
––––––Car, de ma gouvernante, après,
––––––Ils ont assiégé les attraits.
––––––Ne vous effrayez pas, ma tante,
––––––De cet oubli du décorum,
––––––Car, pour l’âge, ma gouvernante
––––––Pourrait lutter avec mon rhum !
WILHELMINE.

Mais, c’est épouvantable ! s’il m’arrivait de pareils hôtes !

FRÉDÉRIC.

Il vous en viendra, mon capitaine doit en distribuer dans tous les manoirs des environs.

WILHELMINE.

Que deviendrai-je ? Vous savez ; que Mina et quelques vieux domestiques habitent seulement avec moi.

FRÉDÉRIC.

Rassurez-vous, baronne, ne suis-je pas là ?

WILHELMINE.

Mais vous n’y serez pas toujours !

FRÉDÉRIC.

Si vous vouliez, je ne vous quitterais plus.

WILHELMINE.

Comment cela ?

FRÉDÉRIC.

Tenez, ma chère Wilhelmine ; car, ce titre de tante donné à un aussi joli visage est un stupide anachronisme… depuis long-temps, je renferme un secret dans mon cœur… mais ce cœur est un volcan, et le jour de l’éruption est venu.

WILHELMINE.

Je ne vous comprends pas.

FRÉDÉRIC.

Baronne, j’ai quarante-huit ans.

WILHELMINE.

Il y a deux ans que je le sais.

FRÉDÉDIC.

Comment me trouvez-vous ? bien, n’est-ce pas ? Wilhelmine, voulez-vous que j’écrive au saint père pour en avoir une dispense ? voulez-vous que votre neveu devienne votre mari ?

WILHELMINE.

Y pensez-vous ?

FRÉDÉRIC.

Je ne pense qu’à cela… dites un mot, je m’installe ici comme votre futur époux ; et, fier de ce titre, je vous défendrai contre toute l’armée française.

WILHELMINE.

Mais ce mariage est impossible !

FRÉDÉRIC.

Oh ! oui, je comprends… vous n’êtes veuve que depuis deux mois… et l’usage veut que… mais ici le délai n’est pas de rigueur… (A part.) Soixante-dix ans, la goutte… un catarrhe… j’accepte les conséquences. (Haut.) Eh bien ?…

WILHELMINE.

Encore une fois, Frédéric !…

FRÉDÉRIC.

Mais quelles raisons donnerez-vous pour justifier ce refus ?

WILHELMINE.

Une seule… je ne vous aime pas.

FRÉDÉRIC.

Tiens, c’est étonnant !… cela vous viendra, baronne, comme cela m’est venu.

WILHELMINE.

Je suis certaine de ne pouvoir jamais répondre à cette flamme si subite et si vive ; il faut donc tout faire pour l’éteindre. Pour cela, cessez, dès à présent, toute visite, l’absence vous guérira.

ENSEMBLE
Air de Bordeaux.
WILHELMINE.
–––––––––Non, pour votre amour,
–––––––––Jamais de retour ;
–––––––––Mais d’un autre cœur
–––––––––Vous serez vainqueur !
–––––––––––Du courage !
–––––––––––A votre âge,
––––––––––Pour se guérir,
––––––––––Il faut partir !
FRÉDÉRIC.
–––––––––Quoi ! pour tant d’amour
–––––––––Jamais de retour !
–––––––––Mais d’un autre cœur
–––––––––Serai-je vainqueur ?
–––––––––––Quel dommage !
–––––––––––Ah ! j’enrage !
––––––––––Sans réussir,
––––––––––Il faut partir !

Wilhelmine salue et sort par la droite.


Scène III.

FRÉDÉRIC ; puis MINA.
FRÉDÉRIC.

L’absence me guérira… je crois que ça veut dire : Faites-moi le plaisir de… Oh ! mais je ne m’en irai pas !… vertudieu !… je veux la forcer à m’épouser, et, pour cela, j’emploierai tous les moyens… je suis amoureux et ruiné ; je mettrai le feu aux quatre coins du château, si ça peut me servir à quelque chose… Richelieu en a fait bien d’autres ?

MINA, accourant[1].

Madame la baronne, madame la baronne !… Ah ! c’est vous, monsieur Frédéric… nous sommes perdus !… si vous saviez…

FRÉDÉRIC.

Quoi donc ?

MINA.

Je viens d’apercevoir, dans l’avenue, des soldats français qui se dirigeaient du côté du château !

FRÉDÉRIC.

Des Français… sont-ils nombreux ?

MINA.

Oh ! je suis sûre que c’est tout un régiment qui

  1. Mina, Frédéric.