jure… Ah ! les farceurs ! ils boivent mon rhum de cent sept ans.
- Ils ont dévalisé mes caves,
- Tué six pigeons que j’élevais,
- Ce n’est pas tout, peste ! ils sont braves !
- Car, de ma gouvernante, après,
- Ils ont assiégé les attraits.
- Ne vous effrayez pas, ma tante,
- De cet oubli du décorum,
- Car, pour l’âge, ma gouvernante
- Pourrait lutter avec mon rhum !
Mais, c’est épouvantable ! s’il m’arrivait de pareils hôtes !
Il vous en viendra, mon capitaine doit en distribuer dans tous les manoirs des environs.
Que deviendrai-je ? Vous savez ; que Mina et quelques vieux domestiques habitent seulement avec moi.
Rassurez-vous, baronne, ne suis-je pas là ?
Mais vous n’y serez pas toujours !
Si vous vouliez, je ne vous quitterais plus.
Comment cela ?
Tenez, ma chère Wilhelmine ; car, ce titre de tante donné à un aussi joli visage est un stupide anachronisme… depuis long-temps, je renferme un secret dans mon cœur… mais ce cœur est un volcan, et le jour de l’éruption est venu.
Je ne vous comprends pas.
Baronne, j’ai quarante-huit ans.
Il y a deux ans que je le sais.
Comment me trouvez-vous ? bien, n’est-ce pas ? Wilhelmine, voulez-vous que j’écrive au saint père pour en avoir une dispense ? voulez-vous que votre neveu devienne votre mari ?
Y pensez-vous ?
Je ne pense qu’à cela… dites un mot, je m’installe ici comme votre futur époux ; et, fier de ce titre, je vous défendrai contre toute l’armée française.
Mais ce mariage est impossible !
Oh ! oui, je comprends… vous n’êtes veuve que depuis deux mois… et l’usage veut que… mais ici le délai n’est pas de rigueur… (A part.) Soixante-dix ans, la goutte… un catarrhe… j’accepte les conséquences. (Haut.) Eh bien ?…
Encore une fois, Frédéric !…
Mais quelles raisons donnerez-vous pour justifier ce refus ?
Une seule… je ne vous aime pas.
Tiens, c’est étonnant !… cela vous viendra, baronne, comme cela m’est venu.
Je suis certaine de ne pouvoir jamais répondre à cette flamme si subite et si vive ; il faut donc tout faire pour l’éteindre. Pour cela, cessez, dès à présent, toute visite, l’absence vous guérira.
- Non, pour votre amour,
- Jamais de retour ;
- Mais d’un autre cœur
- Vous serez vainqueur !
- Du courage !
- A votre âge,
- Pour se guérir,
- Il faut partir !
- Quoi ! pour tant d’amour
- Jamais de retour !
- Mais d’un autre cœur
- Serai-je vainqueur ?
- Quel dommage !
- Ah ! j’enrage !
- Sans réussir,
- Il faut partir !
Wilhelmine salue et sort par la droite.
Scène III.
L’absence me guérira… je crois que ça veut dire : Faites-moi le plaisir de… Oh ! mais je ne m’en irai pas !… vertudieu !… je veux la forcer à m’épouser, et, pour cela, j’emploierai tous les moyens… je suis amoureux et ruiné ; je mettrai le feu aux quatre coins du château, si ça peut me servir à quelque chose… Richelieu en a fait bien d’autres ?
Madame la baronne, madame la baronne !… Ah ! c’est vous, monsieur Frédéric… nous sommes perdus !… si vous saviez…
Quoi donc ?
Je viens d’apercevoir, dans l’avenue, des soldats français qui se dirigeaient du côté du château !
Des Français… sont-ils nombreux ?
Oh ! je suis sûre que c’est tout un régiment qui
- ↑ Mina, Frédéric.