Page:Anicet-Bourgeois et Brisebarre - Pascal et Chambord.pdf/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps après, elle prit le chemin de l’hôtel du grand soigneur, avec son pauvre innocent dans ses bras… Le grand seigneur la fit chasser !

WILHELMINE.

Oh !

PASCAL.

Elle écrivit… jamais de réponse… Alors elle se sacrifia pour son fils, qu’elle voulait élever. Pas de fêtes, pas de dimanches… le travail le jour, le travail la nuit… Il fallait bien qu’elle trouvât du pain, et c’était tout ce qu’elle pouvait donner à son enfant… Pas d’éducation ; car l’éducation, ça coûte cher !… Enfin des années s’écoulèrent ; puis ce fut le tour du fils à aider sa mère… Souvent l’ouvrage n’arrivait pas ; l’hiver était rude… et alors, quand il faisait bien nuit, le cœur gros, le front rouge, il mendiait !…

WILHELMINE.

Ah !…

PASCAL.

Un jour, que le fils et la mère étaient réunis, un grand remue-ménage eut lieu dans la rue… On était en 93… un homme s’élance dans la petite chambre… c’était un noble, un proscrit… et ce jour-là, le grand seigneur, l’ouvrière et son fils se trouvèrent ensemble pour la première fois.

WILHELMINE.

Que fit-elle ?… Elle se vengea peut-être ?

PASCAL.

Oui, madame, elle se vengea… en lui donnant un asile, la moitié de son pain… et elle travailla encore plus fort ; car elle lui avait pardonné, la pauvre femme !

WILHELMINE.

Oh ! c’est beau, cela !

PASCAL.

Quinze jours après, il y avait foule au tribunal révolutionnaire… On devait juger, en vertu de je ne sais quelle loi, un noble et une femme qui avaient donné asile à l’émigré.

WILHELMINE.

Grand Dieu !… mais elle fut acquittée ?

PASCAL.

Le même soir, madame, un pauvre jeune homme suivait la charrette en silence… Il accompagnait sa mère, qui ranimait encore le courage du grand seigneur.

WILHELMINE.
Air : Soldats Français né d’obscurs laboureurs.
––––Quoi ! l’échafaud, la mort pour tous les deux
PASCAL.
––––Le fils voulait, dans sa douleur amère,
––––Mourir aussi… mais on fit à ses yeux
––––Briller une arme…
WILHELMINE.
––––Briller une arme… Il put venger sa mère ?
PASCAL.
––––Un cri soudain arriva jusqu’à lui,
––––Il dut, madame, oublier sa vengeance,
––––Une autre mère implorait son appui,
––––D’autres bourreaux la menaçaient aussi….
WILHELMINE.
––––Et cette mère ?…
PASCAL.
––––Et cette mère ?… Était la France :
––––Ma mère, à présent, c’est la France !
WILHELMINE.

Quoi ! vous seriez… ?

PASCAL.

Je croyais que vous l’aviez deviné, l’enfant de l’ouvrière et du grand seigneur.

WILHELMINE.

Brave jeune homme !… Ah ! que ne puis-je vous prouver tout mon intérêt, toute mon estime….

PASCAL.

Vot’ estime… Il y a un moyen… et le v’là… C’est de reprendre cette bourse que vous avez oubliée ce matin.

WILHELMINE.

Cette bourse… que voulez-vous dire ?

PASCAL.

Que vous nous avez mal jugés, madame.

WILHELMINE.

Vous donner de l’or !… jamais une telle pensée…

PASCAL.

C’est pas vous ?… ah ! tant mieux !… Mais qui donc s’est avisé… ?

WILHELMINE.

Voyons cette bourse… Elle est brodée aux armes de Frédéric de Spelberg.

PASCAL.

Un petit mince, c’est ça… Il voulait nous monter la tête, nous pousser au bruit… à l’oubli de nos devoirs.

WILHELMINE.

Il voulait ainsi m’obliger à réclamer son appui, et je l’eusse acheté au prix de ma main.

PASCAL.

Comment ! vous vouliez épouser… ?

WILHELMINE.

Oh ! je ne serai jamais à lui !

PASCAL.

Bien sûr ?… (À part.) Je ne sais pas pourquoi ; mais ça me fait plaisir !

WILHELMINE.

Il sortira du château aujourd’hui… tout-à-l’heure…

PASCAL.

Vous ne nous craignez donc plus ?

WILHELMINE.

Oh ! c’est vous qui me protégerez, à présent !

Elle lui tend la main et la baise.

PASCAL.

Ah ! madame !…

WILHELMINE.

Le voici !


Scène IX.

PASCAL, WILHELMINE, FRÉDÉRIC[1].
FRÉDÉRIC.

Ah ! charmante petite tante !… (À part.) Elle va me sauter au cou.

  1. Pascal, Wilhelmine, Frédéric.