heureux et sans défiance, posait sa couronne sur votre front, j’aurais donné tout mon sang pour vous enlever à lui ?… Pour la première fois j’ai senti que j’étais envieux… jaloux… pour la première fois aussi j’ai senti que j’aimais.
IDAMÉ. Qu’entends-je ?
MARCO. Oui, chère Idamé, je vous aime plus qu’une sœur… plus que ma mère peut-être. Eh bien ! hésiterez-vous encore à présent ?
IDAMÉ. Non…
MARCO, lui donnant la bague, dont il a jeté presque tout le contenu. Vous serez confiante ?
IDAMÉ. Oui… car je suis heureuse ! (Elle porte la bague à ses lèvres ; aussitôt elle pâlit et chancelle.) Oh ! Marco… tu ne m’as pas trompée… n’est-ce pas ? pourtant ce n’est pas le sommeil… non… c’est la mort qui me glace.
MARCO. Oh ! non… non… c’est impossible… ne crains rien… tu reverras ta mère.
IDAMÉ, s’affaiblissant. Ma mère… ma mère ! il m’aime.
MARCO. Déjà froide et glacée. Je suis effrayé moi-même de ce que j’ai tenté… Mon Dieu ! vous qui m’avez inspiré cette pensée… protégez cette enfant.
Scène VII.
YELU, Officiers Mongols.
DGENGUIZ-KAN. Tout espoir n’est pas perdu, nos soldats sont braves, déterminés… la fortune peut encore revenir à nous. Holkar, à la tête de ses cavaliers tartares, va commencer l’attaque. Cette journée sera décisive pour Dgenguiz ou pour Tschongaï. (Allant à Marco.) L’heure est-elle écoulée ?
MARCO. Je l’ignore… (montrant Idamé) mais l’œuvre est accomplie.
DGENGUIZ-KAN. Morte ! elle est morte !
MARCO. Tu vois, Dgenguiz, si en toute occasion je te sers fidèlement… Je vais te demander le prix de mon dévouement.
DGENGUIZ-KAN. Parle… et je te jure de t’accorder ce que tu demanderas.
MARCO. Confiant comme toi dans la foi de Tschongaï, trompé comme toi par ce prince déloyal.. je veux lui rendre trahison pour trahison. Tu vas me donner quelques esclaves et un palanquin, et tu me permettras de quitter ton camp pour aller rendre à Tschongaï sa fille bien-aimée… sa fille qu’il pourra croire endormie sous son voile… sa fille qu’il accueillera avec des transports de joie.
DGENGUIZ-KAN. Oui, je comprends… Mais ne crains-tu pas…
MARCO. Qu’il découvre trop tôt que je ne lui rapporte qu’un cadavre… Eh bien ! dans ce cas, je verrais sa douleur, j’entendrais ses cris de rage… et je serais vengé.
DGENGUIZ-KAN, désignant quelques guerriers. Ces hommes sont à toi, ils te suivront et t’obéiront.
UN MONGOL. Seigneur, nos lignes sont attaquées, l’ennemi a pénétré dans notre camp.
DGENGUIZ-KAN. C’est bien ! Holkar va commencer sa diversion… Yelu, soldats, à cheval ! n’ayons tous qu’une seule pensée, ne poussons tous qu’un même cri : Vaincre ou mourir.
PAPOUF. Grâce au ciel, j’ai pu me débarrasser de mes soldats ; sous prétexte que j’étais leur chef, ils me voulaient toujours mettre en avant… ils se sont enfoncés je ne sais où et se font assommer, sans doute, à l’heure qu’il est… Quelle nuit de noces… je ne comprends pas comment j’existe encore… Je dois être blessé dangereusement quelque part. (Cris, coups de canon.) La bataille est très-chaude là-bas ; si je pouvais trouver à me cacher ici… il ne me faut qu’un tout petit coin… Il me semble que je tiendrais dans un nid d’oiseau. (Bruit.) Encore la cavalerie mongole… Comment lui échapper ? il ne me reste qu’un moyen de ne pas être tué… c’est de feindre d’être mort… Ô Dieu des Chinois ! père céleste des mandarins, protége-moi contre le fer des hommes et les pieds des chevaux.