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— Léonard restera dans la voiture pour la garder, objecta Mme Deblois, je ne pense pas qu’ici il y ait beaucoup de passants… ni de bêtes féroces… Nous n’avons rencontré personne depuis la vallée, à part un douanier pacifique.

— Alors, je m’installe, conclut Véga, il faudra repartir au jour ; je suis, je l’avoue, grandement éprise de sommeil, ma dernière nuit ayant été des plus panachées…

Ce disant, elle étendait son plaid sur le sol sec, élastique ; au-dessus d’elle des branches, autour d’elle des troncs vigoureux, parfumés de résine. Sa compagne, gagnée par l’exemple, se prépara à camper ; ce lit, après tout, ne pouvait pas être plus dur que celui du couvent.

Wilhem s’allongeait peu loin, surveillant la forêt d’où, à part le vent, pas un bruit ne venait. Bientôt tous s’endormirent, sauf Véga qui voulait la paix la plus absolue pour son expérience de télépathie.

Alors elle s’étendit sur le dos, les yeux ouverts, le corps détendu, relâché sans aucune contraction et dans une immobilité complète. Ses yeux ne cillaient pas, sa langue ne bougeait pas dans sa bouche. C’était le calme si difficile à imposer à ses nerfs.

Elle découvrit un peu la partie de son corps appelé le plœxus solaire, autrement dit le creux de l’estomac, parce que c’est de là que s’élancent les vibrations fluidiques et c’est là qu’elles s’enregistrent. De ce fait naît l’impression si connue d’avoir « le cœur serré ».

Ces divers actes accomplis, Véga concentra fortement sa pensée, elle la projeta avec violence sur Aour-Ruoa, qu’elle se représenta nettement, elle l’appela à voix basse, de manière à créer des ondes sympathiques autour d’elle, puis elle attendit inerte la réception de son message.

Cela tarda quelques minutes, et un souffle frais passa sur son visage. C’était le fluide télépathique. C’était le retour de la pensée lointaine touchée à distance par les ondes voliques.

Alors elle dit mentalement, avec une telle dépense morale de ferveur qu’une sueur l’inondait :

— Peux-tu apprendre à une mère à qui on a enlevé son fils où il est ?

Une voix mentale — celle qu’on entend dans les rêves — répondit :

— Oui, si je puis approcher la mère assez pour agir sur elle magnétiquement, développer sa voyance.

— À quelle distance, reprit Véga.

— Qu’elle soit sur la côte portugaise de l’Atlantique et moi dans l’île où je suis, l’eau sera entre nous un merveilleux transmetteur.

— Faut-il la prévenir ?

— C’est indifférent. Elle verra dans l’astral et agira en conséquence.

— Comment la devineras-tu à une telle distance ?

— Je penserai à cette mère qui a perdu son fils, il n’y en aura peut-être pas deux, au même jour, au même endroit, donne-moi un point de repère.

— Voici. Ce fils perdu est le dernier descendant du dernier des princes qui occupa le trône de France[1]. Peux-tu voir où est ce prince et ce que sera son avenir ?

— Je le lirai dans l’astral où toutes ces choses sont écrites.

— Fais-le moi lire à moi.

— Je ne le puis, mais je te le transmettrai télépathiquement.

Véga était brisée de ce long effort, elle ne perçut plus que quelques mots vagues et tomba dans un profond sommeil… sans rêves.


XXVIII

Les séquestrateurs

Soudain, elle fut réveillée en sursaut, des coups de revolver claquaient autour d’elle, un bruit de voix furieuses s’entendait. Elle sauta sur ses pieds.

Wilhem et Léonard étaient aux prises avec une bande d’hommes, Madame Angela, pâle et tremblante, vivement éclairée par les phares de l’auto qui illuminaient cette scène, était tenue par deux bandits armés de poignards.

— Où est mon revolver ? se dit Véga. Ah ! je l’ai laissé dans la voiture.

Elle n’avait pas d’arme, elle s’élança tout de même, mais du premier coup fut prise au bras par un solide « apache » et immobilisée ; au même moment, Léonard et Wilhem, réduits à l’impuissance par le nombre des attaquants, étaient couchés à terre, bien ficelés.

Alors une voix dit en français :

— Pas la peine de se faire mal, nous n’aimons que la douceur, mes belles dames. Sans vos damnés larbins, on se serait entendu tout de suite.

— Misérable, hurla Léonard, quand j’ai ouvert les yeux, ils chapardaient tout dans la voiture.

— Naturellement, on visite les bagages… Vous êtes entrés chez nous, on paie le passage de la Longa.

— Les séquestratores ! s’écria Véga.

Si senora, « los sequestratores della Longa. A la disposicion de usted ! » fit ironiquement l’homme qui tenait la jeune fille. Celle-ci se rebiffa :

— Lâche-moi, bandit, je ne me sauverai pas.

Il la lâcha, elle venait d’entrer énergiquement ses petites dents en l’épaule de l’Espagnol.

— Nous allons nous entendre, reprit le Français. Je pense que la vieille dame est le chef de la bande. C’est donc à elle que je m’adresse : Il nous faut de l’or.

— Vous avez pris tout ce que contenait la voiture, répondit Madame Deblois, montrant un petit tas où se voyaient l’argenterie, les vêtements, les armes.

— Parbleu ! ne croyez pas, bonne vieille, que ce soit suffisant, l’auto ne marque guère une telle pauvreté, vous avez des millions et vous allez tout simplement nous verser quelques cent mille… Voyons, vous êtes quatre : cent mille pour votre vieille peau, deux cent mille pour la jeune demoiselle, et pour ces valets cent mille, soit quatre cent mille, c’est pour rien.

— Nous sommes loin de les avoir.

— Je m’en doute. On ne traverse pas la Sierra avec un tel magot, mais vous allez le faire venir. Notre banquier Lunès, de Saint-Sébastien, recevra la rançon…

— Nous ne donnerons pas une telle quantité d’or, affirma Véga plus apte à discuter que sa pauvre amie qui semblait défaillir, nous ne l’avons pas.

— Alors, ma belle, nous vous garderons, beaucoup d’entre nous n’ont point d’épouses…

Véga haussa les épaules :

— Nous donnerons cent mille francs et nous allons partir à l’instant.

Les bandits se mirent à rire.

  1. À cette époque se trouvaient deux princes dans la même situation… si tous deux avaient échappé à la mort. Les fils des deux derniers souverains de France : l’empereur et le roi. De là une confusion facile entre eux.