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— Je convoite un élan de votre âme. La fortune, qu’en ferais-je ? Je vis en Robinson. Je ne veux pas quitter le sol qui me nourrit. Je ne veux rien de vous, qu’un baiser maternel. Je ne quitterai pas mon île, je n’irai pas troubler votre vie de ma singulière histoire. La nuit du tombeau s’est faite sur moi, aucune lueur ne viendra l’éclairer. L’Empire est à jamais enseveli.

— Vous avez vu mes envoyés, le baron et la baronne de Bellay ?

— Je les ai vus et je les ai quittés hier. Ils ne doutent pas, eux !

— Relevez-vous, asseyez-vous près de moi. Pouvez-vous me rappeler quelques faits connus de moi et de mon fils ?

— Beaucoup. Des faits d’enfance, c’est ce dont je me souviens le mieux. Un jour, nous revenions de Compiègne. Dans le wagon-salon, avec nous, vous aviez fait placer le célèbre médium Douglas-Home que vous favorisiez de votre attention. Tout à coup, votre bouquet de roses, le coussin que vous aviez sous les pieds, la petite canne que j’avais en main, mon chapeau, se mirent à valser sans que nul y touchât…

Home souriait, vous pâlissiez, moi je me mis à pleurer…

Vous souvenez-vous… maman ?

— Je me souviens, mais nous n’étions pas seuls, votre gouvernante, mon chambellan, d’autres encore… voyaient.

— De sorte que vous n’êtes pas convaincue… Hélas ! vous voulez, je le crains, ne pas l’être.

— Je voudrais l’être, j’ai bien pleuré mon pauvre enfant.

— Une autre fois, nous avions été à Saint-Denys, à l’école des jeunes filles que vous protégiez. Pendant que vous causiez avec les « Dames », j’avais été jouer en compagnie des jeunes filles, j’en aimais une surtout, nommée Jacqueline. J’eus une fantaisie et je dis à ma petite compagne : « Je voudrais savoir si maman me reconnaîtrait si je m’habillais comme toi en uniforme de l’école ? »

L’idée était géniale, nous courûmes à la « roberie », on me mit une robe, une pèlerine, et l’affreux chapeau cabriolet, puis nous allâmes ainsi défiler devant vous et les maîtresses assemblées.

— Madame, vous dit la Supérieure, qui était dans le secret, permettez-moi de présenter une nouvelle élève à Votre Majesté.

Et vous répondîtes sincère : Ah ! comme elle ressemble à mon petit Lô. Elle a juste devant, la même dent qui lui manque. Or, j’avais sept ans. Madame, vous rappelez-vous ?

— Je le rappelle. Toute l’école entendit…

Lô laissa tomber sa tête dans ses mains, découragé, un lourd sanglot monta de son cœur.

— Maman ! écoutez encore ceci. Nul ne peut savoir ce que je vais vous dire : c’était en votre château d’Angleterre… mon ami intime Alphonse XII, qui n’était que prince des Asturies, était là ; la veille, nous avions joué, j’avais perdu et il m’avait prêté cent louis… (j’aurais voulu ne pas vous rappeler ce détail), je le quittai un instant, je montai chez vous. Dans votre petit salon, nous étions bien seuls, vous et moi, toutes portes closes.

Cette fois, un gémissement sortit des lèvres de la mère… Lô continua :

— Je vous suppliai de me donner les cent louis, vous étiez si riche ! Moi, votre fils, je n’avais jamais qu’une somme infime, vous me mesuriez avec tant de parcimonie une maigre mensualité. Vous refusâtes… c’est ce jour-là que je pris la résolution de partir me battre aux colonies. Vous rappelez-vous, Madame ?

Elle avait courbé le front, une honte la gagnait. C’était vrai. Elle avait été bien… économe, son fils ne pouvait tenir son rang de prince, et il avait tant eu d’humiliations qu’il avait préféré fuir loin, très loin.

Un long silence suivit ces mots, au bord des cils blonds de la mère tremblait une larme.

D’un élan invincible, Lô l’attira contre lui, baisant ses yeux :

— Maman !

Elle se laissait embrasser, une faible pression de sa main rendait un peu de sympathie.

On lui contait des choses vraies mais elle était désemparée. Sa pensée avait gardé un tel autre souvenir ! une telle autre image ! cet homme déjà au retour des ans, son fils, son fils à elle !… qui se croyait encore jeune quand elle se mirait après les séances prodigieuses, ou plutôt prestigieuses, de l’Institut de Beauté. Elle paraissait plus jeune que lui.

Ses cheveux d’or roux avaient gardé leur nuance, grâce aux savants artifices. Sa peau fine, douce, habilement massée par les doigts agiles de sa camériste, avait conservé sa souplesse élastique. Chaque soir, elle s’enveloppait de bandelettes couvertes d’une crème spéciale ; le matin, elle posait des pâtes, des crèmes, des eaux, cela durait trois heures d’horloge, mais elle en ressortait belle !

— Quoi rien en moi ne vous rappelle-t-il mon père ?

Elle releva la tête :

— Non, rien. Celui que vous nommez votre père était si malade, si triste, si las, non, il n’avait rien de votre force rustique.

— Il vécut autrement. N’ai-je aucune similitude avec quelqu’un des vôtres, père, mère, aïeule.

Maintenant, elle souffrait. Deux larmes creusaient sur sa poudre des sillons jaunes. Elle murmura :

— Un soir, c’était la veille de la première communion de Lô. Son père le croyant endormi, revenant tard d’un conseil des ministres, entra dans sa chambre. Je priais près du petit lit… Si vous pouvez me dire ce qu’il advint alors, ce sera une preuve, parce que nous étions absolument seuls.

— … Vous récitiez le Rosario d’Espagne, qui vous venait de ma grand’-mère ; il étincelait entre vos doigts… Moi, au lieu de penser aux choses pieuses, dont j’avais été saturé toute la journée, j’avais l’idée à votre voyage d’Égypte dont on m’avait conté divers incidents, et alors quand mon père vint tout doucement pour m’embrasser, je dis bien mal à propos : « Papa, donnez-moi un petit chameau pour me promener dans les allées de Saint-Cloud ».

L’Empereur se mit à rire, posa un baiser très tendre sur mon front, et dit : « Tu auras ton chameau, mon chéri ».

Lô se tût. Anxieux, il regardait sa mère, il lisait en elle maintenant. Oui, elle était sûre de son identité, mais il l’effarait, il la jetait par trop dans la nuit de la vieillesse.

Elle le contemplait… lentement, elle approcha du sien son visage, eut une caresse :

— Si tu es mon fils, que comptes-tu faire ?

— Rien de plus que vous aimer.

— Rentrer en France… tu ne le pourrais pas.