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— Elle ne l’est pas, elle s’ouvrait par un simple bouton de cristal.

— Vous comptez agir demain, dites-vous.

— Oui, aujourd’hui nous ferons une visite sommaire, dans le but seulement de me remémorer les lieux ; ensuite, j’ai une légère superstition, nous sommes au 13.

— Votre tante Angela vous croit en possession de ces précieux papiers ?

— Oui, elle est persuadée que mon père avait reçu ce dépôt de mon parrain.

— Votre tante est dans quels termes avec vous ?

— Un peu tendus à présent. Enfant, elle m’aimait beaucoup. Maintenant, elle ne peut me pardonner de lui vendre, ce que, d’après elle, je lui dois.

— Vous feriez peut-être mieux de vous en remettre à sa générosité.

— Ce serait imprudent. Ma tante a une idée fixe : laisser à son fils une très grosse fortune, elle voudrait le voir au pinacle. Elle fait pour lui des économies fantastiques, elle vit de rien, elle m’a donné son adresse dans une modeste pension de famille de Neuilly.

L’état de Daniel et de sa compagne est aisé à deviner. Lui, pâle d’angoisse, buvait les paroles des deux bandits.

Elle, en sa pensée, élaborait un plan.

Les pas des causeurs ayant de nouveau crié sur le sable, San Remo et Véga osèrent se lever.

— Écoutez, mon ami, dit la jeune fille, il ne faut pas qu’on nous voie ici, nul ne doit soupçonner notre présence en ce jardin.

— Nous avons eu, Véga, une révélation providentielle.

— Je vous crois ! Que comptez-vous faire ?

— Je pense laisser mon voleur agir, me prendre encore une fois mon bien. Ensuite de force ou de bon gré, je l’obligerai à me rendre le produit de son vol.

— C’est bien dangereux. Aussitôt en possession du portefeuille, il filera. Ils sont deux contre nous.

— Suivre nos cambrioleurs et quand ils seront partis du parc, aller nous aussi visiter le château. Nous sommes exactement renseignés sur l’endroit où gît la cachette. Je me réserve le second acte de la comédie. Vous me donnerez simplement la réplique.

— Que comptez-vous faire ?

— Vous le verrez. Surveillez les deux hommes avec assez d’adresse pour ne pas être découvert, il faut savoir quand ils seront partis. Moi, je vous attends ici. Vous serez moins remarqué étant seul, cachez-vous dans les massifs. On vous a filé assez souvent, à votre tour.


LIII

L’escapade nocturne.

Maintenant, Daniel et Véga parcouraient le vieux château peuplé de souvenirs. Ils s’arrêtaient dans la galerie vitrée où jadis se promenait « Madame », au bras de sa dame d’honneur, quand ses membres douloureux avaient besoin d’un peu d’exercice. Ils voyaient les beaux salons de réceptions, les chambres d’amis… Mais ils étaient distraits… Devant l’appartement du Prince, le gardien hésita :

— On ne visite pas cette chambre, dit-il, la famille m’a dit que des étrangers ne devaient pas la profaner.

— Nous sommes de la famille, fit Daniel ému, en mettant un louis dans la main du gardien.

Les deux arguments parurent convaincants, les jeunes gens entrèrent avec respect dans ce sanctuaire.

Une chambre simple, claire, avec un lit d’acajou à bateau, des fauteuils et un divan sans style, des clous au mur, veuf de tableaux, le comte de Valdi ayant emporté les portraits, un seul restait. Celui du Prince, il était suspendu sur la glace au-dessus de la cheminée.

Daniel s’inclina devant ce portrait qu’il contempla ensuite longuement… Véga, sans rien demander, avait ouvert une porte et poursuivait l’examen :

— Ceci était le cabinet de toilette de Monseigneur, expliqua le domestique, cette chambre est dans l’angle, c’est la fin de la maison.

— Bien, pensa Véga, c’est un angle éclairé par deux fenêtres qui donnent, l’une sur la cour d’entrée, l’autre sur le parc, voici bien la garde-robe avec son bouton de cristal. Oser l’ouvrir, serait imprudent… Ces fenêtres là n’ont pas de persiennes, c’est parfait.

Elle s’en a ! la contempler la vue du parc attentivement et pendant cet examen, elle tournait doucement la crémone de la fenêtre, sans ouvrir, mais de manière à ce qu’une simple poussée extérieure fît séparer les deux vantaux de la croisée.

Ceci accompli, elle cessa sa contemplation et revint vers Daniel qui, pas plus que le gardien, n’avait rien vu :

— Partons-nous, mon ami, je suis un peu fatiguée.

— Oui, fit le jeune homme, dont les yeux étaient remplis de larmes.

Il était si ému, qu’il en oubliait le souci de l’heure et ils revinrent à l’hôtel sans parler. Véga veillait aux alentours, une rencontre avec l’ennemi eût été néfaste. Vivement, elle prit le bras de son ami, le fit monter dans son appartement et referma la porte sur eux.

— À présent, écoutez-moi : nous allons dîner ici sous prétexte de malaise, il ne s’agit pas d’aller se montrer à la salle à manger, où peuvent être nos ennemis. Quand la nuit sera venue, nous sortirons sans éveiller l’attention, prétextant le besoin d’air, si le maître d’hôtel nous parle.

— Que voulez-vous donc faire ?

— La seule chose faisable. J’emporterai « lady bird » dans son fourreau dissimulé sous mon plaid.

— Véga, quelle folie méditez-vous ?

— Aucune folie ! laissez moi dire. Nous allons de l’autre côté du mur du parc, il y a un bois qui le joint vers la campagne, j’ai examiné cela par la fenêtre.

— Après ?

— Vous restez dans ce bois à m’attendre. Moi, je change vite ma robe pour le costume d’oiselle, je franchis le mur, je traverse le parc à tire d’aile, je me pose sur le bord de la fenêtre d’angle que je connais, je la pousse, elle est ouverte.

— Certainement, elle sera fermée la nuit.

— On la croit fermée, elle en a l’air, mais tantôt lors de notre visite, j’ai eu soin de tourner la crémone de manière à la dépendre de sa gaine en bas et en haut.

— Véga, vous songez à tout.

— Cette fois, je m’amuse prodigieusement. Je redeviens l’ancienne gamine, hein, quel bon tour nous allons jouer à votre estimable cousin, quand il ira ouvrir sa cachette, il y trouvera juste le portefeuille vide… parce que je ne pourrai pas me charger de plus que les papiers.

— Comment ouvrirez-vous la planche du fond de l’armoire ?

— Aisément. Avec un clou. Quand nous arpentions le parc, j’en ai ramassé un gros au bas d’un escalier.

— Vous l’emporterez ?

— Il est rendu. Pendant la visite, je l’ai mis en réserve le long de la cimaise, à droite de la fenêtre.

— Vous pourriez rendre des points à Barbentan.

— Je l’espère bien, mais je ne lui rendrai rien du tout. Je n’ai que cette nuit pour agir, puisque l’ennemi veut le faire demain. Je poursuis. Je fais glisser ma planche, celle du milieu devant la porte, je sais qu’il y a une encoche dans la rainure. Je prends les papiers et le portefeuille vidé, je reforme tout. Je saute sur la fenêtre, que je ne saurais refermer, par exemple, je vole de l’autre côté du parc où vous m’attendez, je replie « Lady bird », je remets ma robe, nous rentrons comme de paisibles promeneurs à l’hôtel, et nous filons demain au premier train, laissant la place libre à l’ennemi.

Véga riait de tout son cœur, Daniel, admiratif, la contemplait avec une infinie tendresse. Il essaya une objection, elle lui ferma la bouche avec ses doigts fins qu’il baisa ardemment.