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Ils trouvèrent leur soirée longue, la nuit tombe tard en juillet, les gens du pays ne rentraient pas, emplissant les rues, énervés de chaleur. Il leur fallut attendre onze heures pour être tranquilles.

Daniel avait aperçu son cousin et Jean de Navalone sur la terrasse de l’hôtel, maintenant ils étaient rentrés chez eux.

San Remo et sa compagne sortirent alors sans bruit, ils passèrent devant le garçon assis à la caisse et qui veillait jusqu’à la fermeture de l’établissement. Une fois dehors, ils se mirent à forcer le pas ; il fallait en finir le plus vite possible, ne pas avoir l’air de passer la nuit en vagabondage.

Le plan s’exécuta tout d’abord comme il était dressé, sans aucun accroc. La petite ville, déjà endormie, n’eut pas l’idée de regarder au-dessus des frondaisons du parc pour voir évoluer une oiselle d’énorme envergure, la nuit d’ailleurs était sans lune.

Véga regardait « Véga » brillante dans sa lyre et elle avait une foi absolue, une parfaite possession d’elle-même, elle arriva sur l’appui de la fenêtre, le château sombre était parfaitement silencieux.

Elle poussa les deux battants qui cédèrent tout de suite, elle reploya ses ailes et sauta dans la chambre, ayant bien soin de laisser ouverte la croisée, pour fuir vite en cas d’alerte.

Elle n’avait pas oublié de se munir des lunettes nocturnes d’Aour-Ruoa, qui lui permettaient de voir la nuit comme en plein jour. Elle marche vers l’armoire dont le bouton de cristal brillait, il n’y avait pas à se tromper, une seule armoire était là.

Juste au moment où elle touchait la poignée, un jet de lumière passe sous la porte de la chambre à coucher et un bruit se fit entendre.

Une autre que Véga aurait eu peur, et par suite fait du bruit ou un faux mouvement, mais l’oiselle, aussi calme que si elle avait été en train d’accomplir une visite normale, se glissa tout simplement dans l’armoire en en refermant doucement le battant

Alors le gardien entra, une lanterne en main.

— Tiens, dit-il, j’ai oublié de fermer les vitres.

Il posa sa lanterne sur la table et se mit en devoir de clore la fenêtre. Ensuite il reprit tranquillement la lumière et continua sa ronde, son pas se perdit dans le lointain.

Quand elle n’entendit plus rien, Véga, dont le cœur n’avait battu aucune charge, sortit de son armoire, elle alla chercher son clou où elle l’avait posé, et revint explorer le fond du meuble.

En passant ses doigts sur les planches, elle sentit une rugosité :

— Voilà l’encoche, se dit-elle, et avec son clou elle pesa de toute sa force, pour faire glisser le panneau. De droite à gauche, peine perdue, de bas en haut et de haut en bas, rien non plus, mais de gauche à droite, un petit déclic eut lieu et la planche se sépara de la suivante, coulant dans une rainure, sans bruit.

— Ça y est ! fit Véga, qui, par prudence, avait refermé sur elle l’armoire et était bien assez éclairée par ses lunettes.

Prendre le portefeuille de maroquin vert lui causa une véritable sensation de joie, elle l’ouvrit fébrilement, il contenait une vingtaine de lettres et un parchemin frappé d’une couronne royale auquel pendait un sceau fleurdelysé.

Sans rien déplier, Véga entassa dans la poche qu’elle avait sur la poitrine les précieuses choses, puis elle remit en riant le portefeuille à sa place, referma la cachette et l’armoire, alla gaiement rouvrir la fenêtre, songeant que le brave gardien croirait avoir rêvé, et s’envola. Elle rasa les cimes, plongea entre les branches au bout du parc et s’en alla tomber sans heurt auprès de Daniel.

Il la reçut dans ses bras.

— Véga chérie !

— J’ai le paquet. À présent partons, je remets ma robe et replie mes ailes. Ah ! mon Daniel, quelle déception pour l’ennemi ! Et à présent, je songe à la joie de votre chère maman ! Vous voilà validé, Monseigneur !


LIV

Le destin parle

Le lendemain matin à la première heure, le jeune couple quittait Ritzowa au soleil levant, ils avaient voulu prendre le premier train.

Ils allaient dans la direction de Paris en hâte de revoir Mme Angela, mais comme tous les événements de leur vie étaient arrêtés en dehors d’eux, comme leur volonté se trouvait le jouet d’un destin qui les poursuivait, il arriva cette chose rare :

La locomotive de leur train éprouva un accident en rase campagne et il fallut attendre trois heures le secours d’une autre machine. En conséquence, les voyageurs durent descendre.

Le temps était splendide, doux et chaud. Daniel offrit à sa compagne de s’asseoir dans un pré et de se mettre à lire les chères lettres.

— Oui, lisez vos trésors, approuva Véga, quant à moi, j’aperçois là-bas un village dominé par un château, je vais faire une tournée d’inspection.

Elle agissait ainsi par délicatesse, ne voulant pas se mettre de moitié dans les confidences de l’époux et l’épouse, elle voulait laisser Daniel seul prendre connaissance de ses secrets de famille.

Il le comprit sans doute et la laissa aller.

La jeune fille marchait lestement à travers un beau pays riche, plein de moissons mûres.

— Je ne sais tout de même pas où je suis, se disait-elle, voilà un petit cimetière paisible, je vais y entrer, moi qui n’ai de tombes nulle part… je vais prier pour la première venue, cela me portera bonheur.

Le modeste champ de repos était petit, ombragé, des grands rosiers montaient le long des croix de bois, de simples monuments se voyaient autour d’une chapelle blanche en pierre dure, dont la porte portait gravée en lettres d’or, sur une plaque de marbre noir, ces mots écrits en allemand : « Famille d’Ettinghen-Laufen ».

— Ce sont sans doute les châtelains, pensa Véga.

Et machinalement, elle se mit à lire des noms, des membres décédés :

« Prince Ulric d’Ettinghen.

« Duc Rodolf-d’Ettinghen-Hamelhein.

« Myna d’Ettinghen… endormie à 19 ans dans la paix du Seigneur. »

— Ah ! Myna ! Myna endormie à dix-neuf ans dans la paix du Seigneur !

Ce nom — celui révélé par l’onomancie — la fascinait, elle restait là, devant ce marbre sans songer à partir.

Soudain, elle tressaillit, elle qui ne tressaillait jamais. Une main s’était posée sur son épaule, un visage doux et grave dominait le sien et au comble de la surprise, elle s’écria :

— Le Prince Lô ! mais vous êtes un Revenant !

— Un revenant, Véga, un triste revenant de la nouvelle Atlantide, oui, mon enfant, j’ai touché mon vieux continent, et ma première pensée a été pour la tombe de celle que j’ai le plus aimée au monde !

— Myna ! exclama Véga.

— Oui, Myna, comment le savez-vous ?

— Et vous ?

— Comment se fait-il que vous soyez ici ?

— Oh ! toute une histoire. Je suis avec Daniel, Le Prince que j’allais chercher, lorsque je me heurtai à vous… Daniel, qui certainement aimera à vous connaître, voulez-vous venir avec moi.

— Non, je suis si triste. Vous ne pouvez pas comprendre ma peine, enfant, vous n’avez, sans doute, jamais aimé ni souffert.

— J’ai éprouvé les deux… je les éprouve… j’aime et je souffre.

— Alors vous comprendrez ma douleur, là, sous cette pierre, repose mon adorée Myna.

— Non, elle est dans l’espace libre, elle plane… heureuse.

— Je l’espère. Myna, à laquelle je ne sais par quel hasard vous ressemblez étrangement d’allures, de gestes, même de voix, fut mon premier et mon dernier amour.