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Page:Année galante ou Étrenne à l’amour, 1773.djvu/17

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No. II.

CONTE
Lettre d’un Provençal a un de ſes ami
en Province.


Il faut que je te raconte mon cher compatriote une avanture extraordinaire qui vient de m’arriver je suis bien guerri je t’assure du desir qu’on a de trouver des gens de son pays voici le fait : comme nous sommes dans le carnaval je fut conduit il y a quelque temps a un Bal par quelqu’un avec qui je me suis lié depuis peu, et j’y trouva entre plusieurs Demoiselle fort aimable, une petite blonde qui suivant ce quelle me dit se trouva être des environs de chés moi, nous dansames ensembles et fimes ainsi connaissance.

Le Bal fini il est question de s’en retourner chez soi. je cru qu’il etoit de l’honnêteté de proposer a ma blonde de la reconduire chez elle, elle me proposa de manger ensemble une salade en buvant une bouteille de vin que j’acceptois. joublioit de te dire quelle avoit commencé par faire un bon feu, la belle ettendue sur sa chaise les pieds sur les chenets avoit relevée insensiblement ses jupes et sa chemise jusque sur ses genoux beaucoup plus haut que son derriere tu juge aisement de ce que j’avois a contempler et en quel etat par consequent etoit ce que tu devinera je n’osois pourtant en faire rien remarquer, m’imaginant que ce que je voyoit faire pouvoit etre en usage dans la Capitale ou regne comme disoit un de nos Regents l’aisance et la liberté. J’etois dans ses reflections lorsque tout a coup l’on entendit frapper de la maniere la plus terrible ma compagne hesite un moment et se determine enfin a ouvrir quand elle voit que l’on va mettre la porte en bas quel est mon saisissement il entre aussitot un grand Estaffier qui commence par imprimer une paire de soufflets sur le visage de ma blonde, et ni m’ayant vu quoique je fasse de mon mieux pour me cacher, me menace de me jetter par la fenêtre en jurant et sacrant, comme il commence a me saisir et a m’ajuster quelque coups de poings j’entre en composition ; et moyennant 12tt, j’obtiens de m’en aller par ou j’etois venu je promet bien de ne plus faire connaissance avec mes pays et encore moins mes payses. Je suis mon cher, &c.