HISTOIRE RURALE 401
M. A. Ansève Azexanret étudie un phénomène qui (on l'oublie sou- vent) s’est répété à d'assez nombreux exemplaires au cours de l’histoire agraire de l'Europe, — par exemple dans une grande partie de la France après la Guerre de Cent ans, en Lorraine et Alsace vers la fin du xvire siècl un repeuplement après une guerre. Mais cette fois la guerre est celle de 1914- 1918 et les campagnes étudiées appartiennent à une des sections les plus ravagées de la « zone rouge » : la plaine picarde. C’est dire que les dévasta- tions, sans être, probablement, sur chaque point particulier, beaucoup plus profondes que par le passé {les guerres d'autrefois, elles aussi, réduisirent les villages en déserts et brouillèrent les antiques limites des champs), furent, du moins, infiniment plus étendues et plus continues. En outre, les conditions administratives, économiques, financières de 1 reconstruction {le « finance- ment» a été dominé par la législation sur les dommages de guerre) présentent des caractères absolument originaux. Le choix de la Picardie, comme cadre du travail, était des plus heureux, en raison de l'ouvrage classique de M. De- mangeon qui fournissait, pour la comparaison avec l’état d’avant-guerre, un point de départ excellent. Le petit livre de M. Arsène Alexandre est évidem- ment trop bref pour épuiser les problèmes sociaux que soulève un phénomène d’une extrême complexité ; aussi bien l'étude vraiment exhaustive ne sera- t-elle possible que plus tard. Mais bien informé, nettement et clairement écrit et d’un ton parfaitement objectif, il rendra, à titre de mise au point provi- soire, les plus signalés services.
Quelques grands traits caractérisent aujourd’hui la zone reconstruite. Dans l’habitat : disparition du vieux Lype de maison, électrification, adduc- tion d'eau (suppression, par conséquent, de l'antique problème des puits, jadis si grave dans ce pays de nappes profondes). Dans la constitution de la société : les grands propriétaires, habitants du «château» ou de la riche mai- son bourgeoise, s'absentent plus souvent ; parfois même ils ont vendu ou morcelé leurs Lerres ; — les « ménagers », c'est-à-dire les tout petits propriétaires, qui vivaient, en grande partie, de journées faites chez les pay- sans plus aisés et, manquant le plus souvent de cheval de labour, dépendaient de ces mêmes voisins, micux pourvus, jusque dans leur travail sur leurs pro- pres biens, deviennent, eux aussi, plus rares ; ainsi s’évanouit une des plus anciennes classes rurales ; — enfin, les journaliers, qu’attirent les villes, nom- breuses dans ce pays de vie urbaine intense, ou que les entreprises de recons- ruction ont gagnés à l'industrie, disparaissent rapidement. Parsuite de l'affai- blissement de ces deux dernières classes et du dépeuplement général — pertes de guerre, crise de natalité — un manque permanent de main-d'œuvre, atténué seulement, grâce aux loisirs que la loi de huit heures procure aux mineurs, dans le «pays noir». D'où l'appel aux éléments étrangers : Polonais, plus rares aujourd’hui que pendant les premières années d’après guerre, parce qu'ils viennent, au total, moins nombreux en France et que les arrivants sont happés par la mine ou l'usine ; Belges, dont beaucoup sont, non des journa- Jiers, mais des fermiers et souvent ne se fixent pas à demeure. D'où, égale ment, le développement du machinisme, du reste limité, et diverses réper-
4. A. AnSRNE ALEXANDRE, La vie agricole dans la Picardie orientale depuis la guerre Etudes françaises fondées sur L'initiative des professeurs français en Amérique, quatorzième cahier}, Paris, Soclété d'édition « Les Belles Lettres », 1928, In-42, 85 D.
�