Page:Annales d’histoire économique et sociale - Tome 1 - 1929.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN ÂGE

prévisions sur ce que les investigations postérieures feront découvrir.

Je dois ajouter que ce premier coup de sonde n’a guère porté que sur l’époque antérieure au milieu du xiiie siècle. À partir de cette date, les renseignements deviennent assez nombreux pour que l’on ne puisse plus mettre en doute l’instruction des marchands : il ne s’agit plus que d’en établir le degré. J’ai donc, de propos délibéré, borné ce petit travail à la période des origines. J’ai essayé de montrer quand les marchands ont éprouvé le besoin de savoir lire, écrire et calculer, et à quels moyens ils ont eu recours pour se procurer le bénéfice de ces connaissances[1].

Il importe tout d’abord de montrer comment et pourquoi a succédé, au marchand instruit de l’Empire romain, le marchand illettré du haut moyen âge.

Ce serait, à mon sens, une erreur que de vouloir expliquer ce fait par les invasions germaniques du ve siècle et par la décadence générale qu’elles ont provoquée dans l’Europe Occidentale. Si profonde qu’on la suppose, cette décadence n’a pas sensiblement affecté la vie économique. Celle-ci, à vrai dire, penchait déjà vers le déclin depuis la fin du iiie siècle. À comparer le siècle des Antonins à celui de Dioclétien et de Constantin, on en relève des traces évidentes dans tous les domaines. La population diminue, l’industrie se ralentit, la circulation monétaire se resserre, les villes s’appauvrissent et l’agriculture elle-même voit diminuer son rendement[2]. Le commerce cependant, et même le commerce au long cours, non seulement n’a pas disparu, mais demeure une condition indispensable de l’existence sociale. La navigation méditerranéenne continue à entretenir entre toutes les provinces de l’Empire un trafic qui les unit en une solidarité économique très puissante. Les échanges sont constants entre l’Orient et l’Occident. Le premier, beaucoup plus développé et plus actif que le second, le fournit d’objets fabriqués et d’épices qu’il tire de l’Asie ou qu’il produit sur son propre sol, et en retour desquels il exporte des céréales, des bois et des métaux. Dans tous les ports, dans toutes les villes d’Italie, de Gaule, d’Espagne et d’Afrique, des marchands, Syriens pour la plupart, ont des établissements en relations d’affaires avec les diverses régions des bords de la mer Égée, et l’on pourrait assez exactement comparer l’influence qu’ils y exercent à celle que devaient exercer, bien des siècles plus tard, les Génois et les Véni-

  1. Sur le peu que l’on sait de l’instruction des marchands avant le xiiie siècle, voir A. Schaube, Handelsgeschichte der Romanischen Völker des Mittelmeergebiets bis zum Ende der Kreuzzüge, p. 109.
  2. Il suffira de renvoyer pour ceci au beau livre de N. Rostovtzeff, The social and economic history of the Roman Empire.