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L’ATLANTIDE DE PLATON

IV

Je crois qu’il n’aurait fallu à un philosophe de la Renaissance ni grand effort d’imagination ni grandes altérations de la réalité, telle qu’alors on la connaissait, pour tirer une Atlantide d’Asie, ou plutôt une « Cité d’Éden », de certaine ville de mer célèbre parmi les navigateurs et les géographes du temps. L’Aden du XVIe siècle de notre ère est l’exact équivalent de la Gadira-Gadès des VIIIe-Ve siècles av. J.-C. À la porte du détroit qui, de la mer Rouge, conduit aux Indes orientales, Aden, sur la côte de l’Arabie Heureuse, « est le port le plus noble, riche, fort et beau, selon l’apparence du dehors que jamais j’ai vu, pour ce que, si vous regardez son assiette, elle est si superbe et munie naturellement que vous ne sçauriez la contempler, sans recevoir grand estonnement, les édifices y estant beaux, bien faicts, d’une pierre forte et bonnes matières » (A. Thevet, Cosmographie, I, p. 118 et suiv.)

Qu’on lise toute la description que Thevet a tirée des périples d’alors, et l’on ne doutera plus que, en décrivant sa ville de l’Atlantide, Platon ait eu dans l’esprit l’Aden de son temps, l’« Enclos » de l’étain, de l’argent et du bronze, le « magazin » des deux rivages qui prolongeaient vers le Sud et vers le Nord les rivages libyen et européen du Détroit, — la porte et l’entrepôt de ce monde atlantique où l’on pouvait loger toutes les Indes et îles Fortunées. Avait-il, durant ses voyages et ses longs séjours en Sicile, rencontré quelque navigateur qui connaissait de visu cette ville des richesses ? en avait-il lu quelque description fidèle, dans un récit original de quelque capitaine marseillais ou dans la traduction syracusaine d’un document carthaginois ?… Il est plus que probable que les Hellènes d’Occident avaient traduit depuis deux siècles peut-être les périples d’Hannon et d’Himilcon[1] : il est certain que le premier fut utilisé par l’auteur du Périple de Skylax, vers le milieu du IVe siècle, quelques années avant ou après la mort de Platon.

De toutes façons, c’est au pays de Gadiros-Eumèlos, sur la côte d’Espagne, qu’il faut chercher cette Atlantide et qu’on peut la retrouver, car elle n’a disparu que dans le mythe platonicien : la Bétique de Fénelon en a été comme une autre mouture…

Victor Bérard.
  1. Je voudrais quelque jour exposer très brièvement aux lecteurs des Annales cette question des périples carthaginois.