Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/141

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parait pas impossible qu’on l’ait suivi dans quelque « pension de demoiselles » à la fin du xviii siècle, si l’on songe que, jusqu’aux dernières années de l’ère victorienne, des livres tels que « Mangnall’s Questions », [1] enseignaient aux petites filles et sur la même page, des faits aussi logiquement enchaînés que les noms des planètes et ceux des plus célèbres philosophes. On comprendrait alors pourquoi Jane Austen, dans une lettre pleine de souriante malice et d’ironique humilité, avouait qu’elle pouvait se vanter d’être « la femme la plus ignorante et la moins instruite qui eut jamais osé devenir auteur ». [2] Ignorante, elle l’était, certes, et le fut toujours, si l’on entend par ce mot l’absence de savoir livresque. Des lectures sérieuses auxquelles son père dut l’engager aussitôt après son retour au presbytère, c’est-à-dire vers sa douzième année, il ne resta à la fillette devenue jeune fille qu’une seule chose : une aversion profonde, invincible et soutenue pour le « Spectateur ». Le souvenir d’interminables veillées passées à écouter la lecture de trop nombreuses pages du « Spectateur » lui inspira plus tard une invective, toute empreinte de rancune personnelle, contre « cette volumineuse publication dont le fonds comme la forme sont faits pour rebuter une personne de goût, car le sujet de ses articles n’intéresse aujourd’hui plus personne et la langue dans laquelle ils sont écrits est souvent assez grossière pour donner une bien piètre opinion de l’époque qui pouvait la supporter ». [3] Dédaigneuse de ce qui « n’intéressait aujourd’hui plus personne », c’est-à-dire de tout ce qui dépassait le champ immédiat de l’expérience quotidienne et les limites de son milieu, Jane Austen ne s’intéressa pas

  1. Historical and miscellaneous questions for the use of the young… by Richmal Mangnall (new edition, London 1889).
  2. Lettre à Mr. Clarke, bibliothécaire du prince Régent, 11 décembre 1815, citée dans « A Memoir of Jane Austen », by J. E. Austen-Leigh. Page 115.
  3. L’abbaye de Northanger. Chap. V.