Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/171

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qui passe alors sur l’Europe ne la préoccupe point ; pour l’émouvoir, il faut un ouragan comme celui qui couche à terre, devant elle, un des « beaux ormes chéris » du jardin paternel. [1] Sa parfaite indifférence à l’égard d’événements importants, mais qui se passent au loin ; son incapacité à s’écarter de la réalité tangible et du domaine de l’expérience immédiate, montrent à quel point Jane Austen appartenait à un milieu dont elle ne se distingua que par le seul accident de son génie.

À la fin du xviiie siècle, la « gentry », de tous temps attachée fortement à ses traditions et à ses coutumes, était parmi toutes les classes de la société anglaise celle qui opposait aux idées et aux tendances nouvelles l’ignorance la plus impénétrable, l’incompréhension la plus absolue. Cette même « gentry » qui demeurait à l’écart de tous les grands courants de la pensée ou de l’opinion n’était d’ailleurs ni atteinte, ni même menacée par la misère et les angoisses que faisaient naître, dans tous les autres milieux, les dangers de la situation politique. Alors que, dans les villes, la noblesse, la classe moyenne et le peuple souffraient, bien qu’à des degrés différents, de la cherté des vivres et d’une pénurie de blé telle qu’en 1800 un acte du Parlement défendit la vente, non seulement du pain de froment, mais du pain frais, la vie matérielle des « squires » de campagne, en ces terribles années de guerre et de famine, ne subissait aucun changement. Comme au temps ou Pope avait célébré sur le mode classique les douceurs de la vie aux champs, les squires continuaient à tirer des « arpents de terre du domaine familial… le lait de leurs troupeaux, le blé de leurs champs, la laine de leurs moutons et le bois de leurs forêts ». [2] Tout occupés d’agriculture, de chevaux

  1. Memoir of Jane Austen. Page 60.
  2. Alexander Pope. Ode on Solitude, (1700) : — « Whose herds with milk, whose fields with bread, Whose flocks supply him with attire, Whose trees in summer yield him shade, In winter, fire ».