Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/402

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belle fortune, est toujours un objet de respect, et peut être aussi sensée, aussi agréable que n’importe qui. La distinction qu’on établit ne témoigne point autant contre la sincérité et le bon sens des gens qu’on le croirait au premier abord, car de très petites rentes tendent à rétrécir l’esprit et à aigrir le caractère…

— Mon Dieu ! mais que deviendrez-vous ? À quoi vous occuperez-vous en vieillissant ?

— Si je me connais, Harriet, j’ai un esprit actif, toujours en mouvement, avec beaucoup de ressources en soi-même et je ne conçois pas que je doive manquer d’occupations à quarante ou à cinquante ans plutôt qu’à vingt-cinq. Les choses auxquelles les femmes occupent d’ordinaire leurs yeux, leurs doigts et leur intelligence seront alors à ma disposition aussi bien qu’aujourd’hui, ou à peu de chose près. Si je dessine moins, je lirai davantage; si je renonce à la musique, je ferai de la tapisserie. Quant à avoir des êtres auxquels je m’intéresse et que j’aime, ce qui, à dire vrai, est le grand point d’infériorité du célibat, ce qu’on peut redouter lorsqu’on ne se marie pas, je serai bien partagée : j’aurai tous les enfants d’une sœur qui m’est si chère. Je trouverai en eux, selon toute probabilité, assez pour me procurer toute l’affection et toutes les satisfactions qu’on peut désirer au déclin de la vie ». [1]

S’il est de règle de considérer le célibat comme une condition fâcheuse, la valeur de cette opinion lorsqu’il s’agit d’une Elizabeth, d’une Anne Elliot ou d’une Fanny est subordonnée à leur idéal moral et au sentiment de leur propre dignité. Leur conception du devoir, qui ne comprend point de sacrifices héroïques, mais plutôt de menus renoncements, de petites concessions faites pour assurer la paix et l’harmonie de la vie journalière, est parfaitement juste et sensée. Sans l’avoir jamais formulée, elles mettent en pratique cette idée chère à l’individualisme et à la volonté de vivre de leur race, que le

  1. Emma. Chap. X.