Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/459

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convaincre, de comparer ce passage à cette page de « Jane Eyre » où Charlotte Brontë fait du grand souffle de la tempête l’écho du cœur tumultueux de son héroïne : « Quelle force avait transformé la nuit ? La lune n’avait pas encore disparu et cependant nous étions dans l’ombre, Je pouvais à peine distinguer le visage de mon maître et pourtant j’étais tout près de lui. Quel pouvoir invisible torturait le grand châtaigner ? Il se tordait et gémissait, tandis que le vent mugissait dans l’allée de lauriers et que ses rafales nous entraînaient ». [1]

Les conditions de son art, comme sa conception des rapports du roman et de la réalité, inclinent Jane Austen à ne jamais se départir, lorsqu’elle parle de la nature, de la réserve qu’elle met par ailleurs à parler de l’amour. Elle exprime franchement dans ses lettres son amour de la nature mais elle ne saurait le faire dans son œuvre. Trop de romanciers ont décrit, avec une verbeuse complaisance, des clairs de lune ou des soirs d’orage pour qu’elle se soucie de suivre leur exemple. Son goût délicat découvre dans la poésie du clair de lune ou dans le déchaînement de la tempête un artifice trop visible, quelque chose de théâtral et d’outré. Si parfois, elle note la grâce d’un paysage, elle le fait en quelques phrases qui peignent moins qu’elles ne suggèrent. Elle n’évoque pas une image trop complète qui, accordant trop au plaisir des yeux, ne laisse plus rien à l’imagination : « Pendant les trois mois qu’avait duré l’absence de Fanny, le printemps s’était changé en été. Ses yeux rencontraient de tous les côtés des haies et des pelouses du vert le plus frais. Les arbres, qui n’étaient pas encore revêtus de tout leur feuillage, en étaient à ce moment exquis où l’on devine la beauté dont ils vont bientôt se parer et où, tandis que l’œil est charmé, l’imagination peut cependant se créer de nouvelles jouissances ». [2]

De même qu’elle blâme la recherche exclusive du

  1. Jane Eyre, by Charlotte Brontë. Chap. XXIII.
  2. Le Châtau de Mansfield. Chap. XLII.