« J’ai lu votre ouvrage, lui écrit-il, avec d’autant plus de plaisir que j’ai toujours pensé comme vous sur la nature et sur les effets de la comédie[1]. »
Le docteur, toutefois, fait ses réserves et ne ménage pas ses critiques à l’auteur. Il ne saurait en effet reconnaître Genève dans cette République idéale, de mœurs austères, dont le solitaire de Montmorency trace le séduisant tableau. Encore moins peut-il souscrire à l’étrange utopie de Jean-Jacques de remédier au contact de la civilisation en introduisant dans sa patrie l’éducation et les usages de Sparte.
Ne nous y trompons pas, ce qui convenait aux républiques grecques ne convient plus à la nôtre…
L’éducation publique dispensait dans celles-là de l’éducation particulière, ou, pour mieux dire, il n’y avait point d’éducation particulière. Tout se réduisait à la gymnastique et aux exercices qui avaient quelque rapport avec la guerre. Chez nous il ne peut plus y avoir d’éducation publique, elle serait incompatible avec les arts, et les métiers ; sur le pied où les choses sont, Genève mourrait de faim.
Rousseau fait l’éloge des cercles, dont il idéalise singulièrement l’objet, en les représentant comme « la sauvegarde des mœurs antiques et des vertus civiques. » Tronchin constate l’action dissolvante de ces institutions sur la vie de famille, et il montre à Jean-Jacques « les enfants laissés à eux-mêmes, se livrant à toutes leurs passions naissantes, couvrant de l’ombre de la nuit des habitudes déréglées, tandis que les pères jouent, boivent et fument dans leurs cercles. »
Oh que vous changeriez de ton, si vous voyiez tout ce que je vois, et si de sages pasteurs vous disaient, comme ils me le disent
- ↑ Mss. Tronchin. Copie de lettres. Tronchin à Rousseau, 13 novembre 1758. Publ. par Gaberel, Rousseau et les Genevois, p. 106.