ix ans avaient passé depuis la mort de
Rousseau ; la postérité avait commencé
pour lui ; sa personnalité et son œuvre
excitaient cet intérêt curieux qui s’attache
toujours au grand homme récemment disparu. L’Académie
proposait son éloge pour sujet du prix d’éloquence ;
la seconde partie des Confessions allait paraître
et soulevait à l’avance de vives polémiques ; Mme de
Staël, le Comte de Barruel, d’autres encore, publiaient
leurs écrits sur Rousseau. Mme de Charrière, qui
parlait souvent de lui avec DuPeyrou, fut tout naturellement
amenée à s’occuper, elle aussi, de l’auteur
d’Émile. Elle le fit moins encore par goût personnel
que pour défendre l’ami de Rousseau, qui était aussi
son ami, le plus cher qu’elle eût à Neuchâtel. Sitôt que
DuPeyrou fut attaqué, elle se jeta dans la mêlée avec
tout l’élan d’une âme vaillante et généreuse.
Elle avait pour lui la plus haute estime, recherchait la société de cet homme sûr et bon. Très souvent, DuPeyrou faisait atteler son carrosse et venait passer l’après-midi à Colombier. Presque tous les jours il dictait à son valet de chambre Choppin — car sa goutte l’empêchait d’écrire — un billet pour son amie ; elle lui écrivait aussi journellement : de toute cette précieuse
- ↑ Ce morceau forme le chapitre XIV d’un ouvrage qui paraîtra cette année et sera intitulé Madame de Charrière et ses amis.