Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 20.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Dans ce décor printanier, Rousseau confia à Coignet sa douleur de vieillir :

« Mon ami, c’est à regret que je quitte le temps des amours ; j’ai cinquante-sept ans ; je ne suis plus fait que pour inspirer des dégoûts ; cette pensée m’afflige. »

La narration de Coignet n’a pas été rédigée au jour le jour ; en outre, elle ne porte aucune date ; cependant, en sa concision, elle répète les pages grandiloquentes publiées par Chassaignon peu de temps après l’événement, en 1779, et par conséquent lues et relues par Coignet qui ne les infirme pas, ni par une réserve, ni par une correction :

« Les jolies mortelles font encore tourner la tête à cet être déifié, jusqu’au haut de son Olympe… C’était au mois de mai… Un matin, observant avec son hôte[1], le lever si touchant de l’aurore… il saisit avec expression la main de M. C***[2] qui l’accompagnoit, et laisse couler quelques larmes… « Eh mon ami, quoi ! j’ai la douleur de voir tous les êtres se renouveler autour de moi, prendre des nuances plus gracieuses, montrer plus de délicatesse et de fraîcheur dans toutes leurs parties, tandis qu’altéré par les années, mon individu se décompose, et que les rides de la décrépitude viennent sillonner mon front. Je deviens hideux à proportion que la nature s’embellit ; sous les ruines d’un corps qui se délabre, et voudrait ensevelir ma sensibilité, mon cœur s’aiguise, s’irrite, s’enflamme. Non, je n’ai jamais senti les femmes plus aimables que depuis que je deviens un objet dégoûtant pour elles. Malheureux, je ne puis plus me faire aimer d’un sexe que j’adore, et dont les charmes actifs font bouillonner mon sang. »

  1. Cornabès, dans mon hypothèse.
  2. Coignet, certainement.