Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 24.djvu/15

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enlever le solitaire, ignorant qu’il était là, et qu’elle n’avait qu’un pas à faire pour le voir. Francueil ajoutant une délicatesse raffinée à son obligeance ne la fit point avertir afin qu’elle eût tout le plaisir de la surprise. Enfin, la toilette est finie, la poudre blonde est semée sur ses longs cheveux déroulés, la robe de satin de Damas rayée de bleu et d’argent s’étale sur de très petits paniers. Ma grand’mère était belle comme un ange à vingt-cinq ans, car elle l’était encore à soixante-quinze ans morte, enveloppée de son linceul et coiffée de son bonnet à dentelles, blanche comme sa toilette funéraire, noble et sereine comme l’âme qui avait animé ce beau corps.

« Elle entra dans le salon, elle vit un petit homme mal mis et renfrogné, qui se levait lourdement, qui balbutiait des mots confus.

« On lui avait tant de fois dépeint Jean-Jacques qu’elle le reconnut sur-le-champ. Elle voulut parler et fondit en larmes. Jean-Jacques, étourdi de cet accueil, voulut la remercier et fondit en larmes. Francueil voulut leur remettre l’esprit par une plaisanterie et fondit en larmes. On essaya de dîner pour couper court à tous ces sanglots. Mais Madame de Francueil ne put manger. Francueil n’eut point d’esprit et Jean-Jacques s’esquiva en sortant de table sans avoir dit un mot, mécontent peut-être d’avoir reçu un démenti à sa prétention d’être le plus persécuté, le plus haï et le plus calomnié de tous les hommes. »

Cette dernière phrase est à remarquer. Elle révèle, chez l’aïeule comme chez sa petite fille, une restriction mentale qui, chez l’une comme chez l’autre, ne nuit ni à l’admiration ni à la compassion, et qui même peut-être y ajoute. Aujourd’hui, grâce aux révélations de la Correspondance préparée par Th. Dufour et éditée par P. P. Plan, grâce à l’exacte et lumi-