Page:Annales de mathématiques pures et appliquées, 1830-1831, Tome 21.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bres et un nom commun pour les exprimer tous. Certainement de tels hommes ne concevraient pas que l’on pût affirmer, avec certitude, de deux tas de blé tant soit peu considérables, qu’ils contiennent exactement le même nombre de grains. Ils concevraient encore moins que l’on pût s’assurer exactement de l’égalité d’étendue de deux propriétés territoriales, de figure tant soit peu différente, comparer avec précision les temps nécessaires pour les ensemencer ou pour en recueillir les produits, et comparer aussi ces produits, sous le rapport de leur poids ; d’où l’on est contraint de conclure que, pour des hommes aussi peu avancés dans la civilisation, les grands nombres, l’étendue en surface, le temps et le poids des corps ne sont point encore de ces choses que nous avons nommées grandeurs ou quantités.

Mais nous-même, il y a moins de deux siècles, n’aurions pas cru possible de comparer rigoureusement la probabilité d’un événement à celle d’un autre événement ; nous n’aurions pas cru davantage que l’on pût jamais comparer, avec exactitude, les températures de deux localités éloignées, à une même époque, ou celle d’une même localité à des époques éloignées ; d’où l’on doit conclure qu’alors ni les probabilités ni les températures n’étaient pour nous des grandeurs ou quantités. Un essai extrêmement remarquable de Maupertuis, sur le Bonheur, laisse même entrevoir qu’il pourrait n’être pas impossible de soumettre un jour les affections morales à des comparaisons rigoureuses ; de sorte qu’il est vrai de dire que rien ne semble devoir limiter le champ des sciences mathématiques, et qu’il n’est guère possible de prévoir à quel degré d’étendue le temps et les travaux accumulés de ceux qui les cultivent pourront un jour le porter.

Parce que les sciences mathématiques n’ont pour objet que les choses susceptibles de comparaison rigoureuse, on les a appelées sciences exactes. Il est clair qu’elles seules méritent proprement cette dénomination ; et voilà précisément ce qui leur assigne le premier rang entre les sciences, sous le point de vue de la certitude.