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Page:Annales de mathématiques pures et appliquées, 1830-1831, Tome 21.djvu/335

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suppléant aux documens historiques dont nous sommes dépourvus, par ce qui nous est connu de la marche ordinaire de l’esprit humain, dans ses diverses investigations, examinons par quelle suite de réflexions et de tentatives on a pu être conduit à une invention si précieuse. Efforçons-nous, en un mot, de substituer à l’histoire peu connue de la découverte de la langue des nombres, un roman qui ne sera pas dépourvu d’intérêt et d’utilité ; s’il n’est pas tout à fait dépourvu de vraisemblance.

Mais avant d’entrer en matière, et afin de nous rendre plus intelligibles, posons d’abord quelques principes généraux sur les langues, sur les divers genres de services que nous pouvons en attendre, et sur l’esprit qui doit présider à leur formation. Ces principes seront d’autant moins déplacés ici que la langue des nombres est peut-être la plus propre de toutes à bien faire ressortir la toute puissante influence des signes sur la faculté de penser.

Les hommes, répandus sur la surface de la terre, y seraient éternellement demeurés étrangers les uns aux autres, s’ils n’étaient parvenus, au moyen d’une collection de signes sensibles, à s’avertir réciproquement de ce qui se passait dans leur esprit et des sentimens divers dont ils étaient animés. L’ensemble des signes destinés à un tel usage constitue ce qu’on appelle les langues, envisagées sous le point de vue le plus général.

Ces signes peuvent être permanens ou fugitifs. Les signes de la première sorte constituent la langue écrite qui jouit exclusivement du précieux avantage de transmettre la pensée, sans altération aucune, à toutes les distances et à toutes les époques. Ceux de la seconde sorte appartiennent à la langue parlée dont l’effet est purement instantané, et qui ne pourrait transmettre la pensée qu’à des distances très-limitées, si la mémoire ne venait à son secours. À celle-ci se rapportent la langue d’actions et les sons inarticulés. L’usage de la langue écrite paraît exclusif à l’homme, tan-