Page:Annales de pomologie belge et étrangère - 1.djvu/35

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fit paraître une Pomologie dans le xviiie, on remarque d’abord ce fait dominant : un grand nombre de variétés anciennes disparaissent successivement ; elles sont remplacées par de plus nouvelles. De toutes les poires mentionnées par le patriarche de l’agronomie française, on ne rencontre plus dans les jardins que le rousselet, la bergamotte, le bon-chrétien, le blanquet, le messire Jean et le franc-réal ; soixante autres noms ne se retrouvent pas dans les nomenclatures, depuis et y compris Duhamel. À la vérité, ces pertes sont largement compensées par les gains modernes.

Le poirier est incontestablement l’arbre dont les produits sont le plus variés ; ne serait-il pas aussi celui dont les variétés arrivent le plus vite à la dégénération ? D’après Van Mons, cette dégénérescence se manifeste après deux ou trois siècles. Sans discuter ici cette question, qui trouvera sa place dans une autre partie de cet ouvrage, qu’il nous soit permis de citer un exemple remarquable à l’appui de l’opinion de ce pomologue.

Vers le milieu du xviie siècle, trois poires de premier ordre, le colmar, la virgouleuse et la bergamotte crassane, furent gagnées en France. Cette date est constatée par Merlet et la Quintinie. L’auteur du Traité des jardins, malgré l’éloge qu’il fait de ces fruits, les réserve formellement pour la culture en buisson. Dans les minutieux détails sur la disposition d’un jardin composé de 800 poiriers en espalier, la Quintinie fait entrer des martin-sec, des messire-Jean, des Saint-Lezin et une foule d’autres médiocrités, dont les amateurs abandonnent aujourd’hui la culture ; mais il n’admet ni colmar, ni crassane. Ces deux dernières variétés ne sont cultivables, de nos jours, qu’à l’abri d’un mur, même sur les bords de la Loire, contrées plus méridionales que Versailles, dont les jardins royaux étaient sous la direction de la Quintinie.

Il résulterait donc de ces faits, qu’une grande partie des poires si vantées par cet auteur ont été successivement abandonnées dans les cultures ou ne tarderont guère à l’être, tandis que les nouveautés de son époque arrivent déjà à un état de décadence réel ; semblables à des vieillards décrépits, ces arbres confirmeraient la théorie de Van Mons, par le besoin absolu d’abri et de chaleur. S’il existe des exceptions à cette règle, on les trouvera dans les jardins situés à l’abri du froid, des vents du nord et de l’ouest, et favorisés d’un sol léger et calcaire ; telles sont, par exemple, en Belgique, un grand nombre de localités de la vallée de la Meuse.

Dans les terrains argileux et froids, l’abri de l’espalier est indispensable pour ces anciennes poires, ainsi que pour les passe-colmar, les beurré d’Hardenpont et autres de ce genre, qui sont encore l’honneur de nos jardins. Il n’en est pas de même des variétés récemment obtenues ; presque toutes réussissent admirablement en plein vent et beaucoup conviennent même à la culture des vergers. À mesure qu’elles sont mieux connues, on abandonne des médiocrités telles que les amadottes, les bezy d’Heri, les messire-Jean, les royale d’hiver et tant d’autres fruits surannés, à chair sèche et sans parfum ; ils cèdent la place aux gains nombreux dont la pomologie s’enrichit sans cesse, grâce aux travaux de Van Mons, de ses émules et de ses continuateurs.

Nous ne saurions trop conseiller aux amateurs, lorsqu’il s’agit de planter des pyramides ou des hauts-vents, de donner la préférence aux variétés modernes, dont un grand nombre joint la beauté et la fertilité à une chair fondante, exquise : telles sont les colmar d’Arenberg, duchesse d’Angoulême, William’s, comte de Flandre, triomphe de Jodoigne, soldat laboureur, conseiller de la cour, beurré Bosc, nouveau Poiteau, etc., etc. Il semble que ces arbres, dans toute la séve et la vitalité de la jeunesse, soient pressés de produire, sans être influencés par leur situation ou par la forme que l’art du jardinier leur impose.

Cette richesse de la pomologie moderne doit conduire à une grande sévérité dans le choix des variétés anciennes. Nous ne pouvons cependant oublier de mentionner, dans les Annales de Pomologie, la plus ancienne des poires, ce bon-chrétien d’hiver, si vanté par tous les auteurs. Citée par Olivier de Serres dans le Théâtre d’agriculture, cette poire est, suivant la Quintinie, la meilleure de son époque. Cet auteur prétend que les Romains l’ont connue et cultivée sous le nom de Volemium ou Crustemium, si bien, dit-il, qu’elle y a fait souvent figure, dans les magnifiques festins qui s’y faisaient, soit pour augmenter l’éclat des triomphes, soit pour honorer les rois tributaires, qui venaient rendre hommage aux maîtres du monde.

Des écrivains du xvie siècle disent que ce fruit est dû à saint Martin de Tours, qui, selon Merlet, l’apporta de Hongrie ; d’autres en attribuent l’honneur à saint François de Paule, surnommé le bon-chrétien, à la cour de