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Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/947

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la théosophie brahmanique

qui le rétablissent quand il a subi quelque atteinte. Les idées d’ordre, de régularité, de constance prévalent dans ce domaine.

Mais à côté des actions normales qui tirent leur efficacité de leur répétition même, il y a les actes exceptionnels, les actes uniques, dont l’intensité fait au contraire la valeur, et qui exigent de ceux qui les accomplissent une dépense extraordinaire d’énergie. Ceux qui en sont témoins ne manquent pas d’attribuer à leurs auteurs des facultés surnaturelles. Et comme, en même temps, un pareil déploiement de force, de courage, d’intelligence, semble être par lui-même une source d’énergie nouvelle, on a deux raisons pour une de craindre et de vénérer la puissance qui vient de se révéler.

Les Hindous ont appelé tapas l’énergie développée par une manifestation exceptionnelle de la volonté. Tapas, c’est littéralement la chaleur : échauffement et force se produisent en quantités corrélatives. Quand le roi Viśvāmitra se soumit à de terribles mortifications pour parvenir au but qu’il s’était fixé, la dignité de brahmane[1], on vit, pendant qu’il peinait et souffrait, une vapeur sortir de son corps : telle la fumée qui se dégage d’un morceau de bois frotté avec persévérance. Les dieux, Prajāpati en particulier, ne créent qu’en s’échauffant et en peinant[2]. Aussi le tapas joue-t-il un rôle dans la cosmogonie du Rigvéda[3], et un

  1. On a eu tort d’interpréter parfois cette fameuse légende comme si elle indiquait qu’aux yeux des Hindous les hommes des âges mythologiques pouvaient passer de la caste des Kṣatriya dans celle des brahmanes. Ce qu’elle signifie en réalité, c’est que la récompense que d’autres Kṣatriya ont acquise par leurs mérites, celle de renaître dans la caste brahmanique, l’excellence exceptionnelle de Viśvāmitra la lui a fait obtenir dès la vie présente. C’est ainsi que certains personnages éminents arrivent au salut de leur vivant, tandis que d’autres, de beaucoup les plus nombreux, n’y parviennent qu’avec la mort. Le cas de Viśvāmitra a donc ceci d’intéressant qu’il est une dérogation à la règle en vertu de laquelle le karman attend une vie subséquente pour porter tout son fruit.
  2. « En vérité, c’est par le sacrifice, la fatigue, l’échauffement, les libations, que les dieux ont conquis le ciel, le monde » (Ait. Br. VII, 3, 6).
  3. X, 129, 3.