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Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/960

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histoire des idées théosophiques dans l’inde

s’explique le plus naturellement, si l’on admet qu’il y eut entre leurs adeptes d’étroits rapports et peut-être même identité au moins partielle des personnes, et que les tentatives de systématisation de l’ascétisme sont parties de l’école Sānkhya, autrement dit que les premiers théoriciens du yoga ont été des disciples de Kapila.

Cette annexion du Yoga par le Sānkhya a été d’autant plus aisée qu’il y avait entre eux une affinité naturelle, une affinité qui n’existe nullement au même degré entre le Yoga et le Védanta. En effet, la méthode ascétique par excellence, celle qui détache la pensée des choses extérieures pour la concentrer en elle-même, c’est, avec un plus ou moins grand nombre d’échelons, de faire rentrer successivement les sens dans l’entendement, l’entendement dans le principe d’individualisation, et celui-ci dans le principe de la connaissance, — un processus d’inhibitions où chaque principe est, en quelque sorte, tenu en bride par le principe immédiatement supérieur jusqu’à complet isolement de l’âme. Cette méthode est ancienne, puisque la Kāṭhaka-Upanisad recommande déjà pour le yoga une opération qui consiste à réprimer (yam) la voix et l’entendement, en les ramenant dans le moi connaissant (la buddhi), puis à ramener celui-ci dans « le grand », et « le grand » dans « l’âme apaisée » (c’est-à-dire dans l’indéterminé)[1]. L’emboîtement des principes les uns dans les autres était tout à fait conforme à l’évolution des tattva et à leur subordination, enseignées par le Sānkhya.

De plus, à la différence des autres systèmes de philosophie, le Sānkhya posait un nombre infini d’âmes isolées. Or, l’ascétisme entendu à la façon hindoue a pour but l’intégration absolue de l’âme individuelle, c’est-à-dire un état où elle est elle-même, rien qu’elle, détachée radicalement du non-moi. C’est à cette condition seulement qu’elle devient infiniment libre, grande et heureuse. Encore ici, le Sānkhya

  1. Kāṭh. Up. 3, 13.