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Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/962

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histoire des idées théosophiques dans l’inde

l’athée pourrait-il être sauvé ? » tel est l’argument excellent que les Yogins parfaitement sages allèguent (contre le Sānkhya). À cela, les partisans du Sānkhya répondent : « Pour être délivré du corps, il faut, et il suffit, que sachant toutes les voies du salut, on se détache des objets sensibles ; voilà la doctrine sankhyenne de la libération, comme l’ont prêchée de grands sages !… Les Yogins ont pour eux l’évidence immédiate ; les docteurs du Sānkhya s’appuient sur une tradition certaine. Cher Yudhiṣṭhira, ces doctrines sont toutes deux approuvées par moi, et toutes deux sont reconnues pour vraies par les hommes compétents. Celui qui se conforme aux règles qu’elles formulent, atteindra le but suprême. Pareille est de part et d’autre la pureté basée sur les mortifications ; pareille la compassion pour les êtres ; pareille la fidèle pratique des vœux ; seule, la doctrine n’est pas semblable » (Mbhr., 11039-41 ; 43-45).

La note est ici sensiblement différente. Les manifestations pratiques sont les mêmes dans les deux écoles ; elles se séparent sur des points de doctrine. Et Bhiṣma met le doigt sur la plus caractéristique de ces divergences : en face du Sānkhya athée (niriśvara-Sānkhya), le Yoga affirme l’existence d’un Dieu souverain (seśvara-Sānkhya).

L’Īśvara du Yoga n’est pas une de ces divinités comme celles que le Sānkhya reconnaissait, êtres ne différant de l’homme que par un peu plus de pouvoir, un peu plus de jouissance, un peu plus de longévité, mais soumis comme lui à la loi de la métempsycose, et placés même dans des conditions moins favorables que lui au point de vue du salut. Non, l’Īśvara n’est pas un dieu quelconque, mais Dieu, un être à part, éternel, tout-puissant, dont l’activité infiniment bienfaisante se déploie en faveur de l’homme désireux du salut. C’est une âme spéciale, puruṣaviśeṣa, ce qui signifie sans doute une âme exceptionnelle[1].

  1. On comprend en général puruṣaviśeṣa en ce sens que Dieu est une âme à part, les autres âmes étant indépendantes de lui, n’émanant pas de lui. Mais toutes les âmes ne sont-elles pas indépendantes les unes des