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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

son corps par des austérités, on passe, après sa mort, dans des mondes préférables à la terre, à finir par la lune, d’où l’on retombe sous forme de pluie pour redevenir plante et finalement homme, par la voie de la nourriture. Ce circuit dure indéfiniment. Quant aux hommes qui n’ont acquis ni les mérites de la science ni ceux que procurent les pratiques pieuses, ils descendent sur l’échelle des êtres et deviennent vers, sauterelles ou moucherons ; manière évidemment hyperbolique de faire entendre qu’ils peuvent s’unir aux formes animales les plus infimes et les plus viles.

Un document du même genre et à peu près de la même époque, au moins pour la partie que j’ai à mettre à contribution, la Katha-Upanishad, débute par un dialogue entre un jeune sage appelé Naciketas et la Mort personnifiée, à laquelle le père de Naciketas a livré son fils dans un moment de colère. Dans cette légende, qui présente une certaine analogie avec l’apologue de Prodicus, car Naciketas, auquel la Mort offre les biens temporels et les plaisirs des sens, les dédaigne, comme Hercule, au profit de la science suprême, de la science de l’âme

… qui lui parut plus belle,
dans cette légende, dis-je, le peu de valeur des choses d’ici-bas, en raison de leur caractère transitoire, est affirmé avec originalité et énergie.

« Demande-moi, dit la Mort à Naciketas, des fils et des petits-fils qui atteignent cent ans d’âge, du bétail en quantité, des éléphants, de l’or et des chevaux ; demande -moi une grande étendue de terre ; et toi-même, vis autant d’automnes que tu le désireras.

« Si tu peux imaginer un souhait équivalant à celui de la connaissance dont tu as le désir, exprime-le, — qu’il s’agisse de richesses ou d’une longue vie. Deviens le maître d’un vaste territoire, ô Naciketas, je t’accorde l’accomplissement de tes désirs.

« Demande-moi à ton gré toutes les choses les plus difficiles à obtenir dans le monde des hommes. Ces charmantes Apsaras (sorte de nymphes) montées sur des chars, jouant avec des instruments de musique et dont les pareilles ne sauraient être obtenues par les hommes, je te les donnerai afin que tu passes avec elles une vie de délices. Mais, ô Naciketas, ne m’interroge pas sur la mort. »