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LE MYTHE DE VÉNUS

Ce qui est bien digne de remarque, c’est que les Latins ont su, sans en connaître le sens, que le mot phrut était le nom primitif de leur Vénus-Aphrodite. Ils l’appellent quelquefois Frutis, notamment dans ses rapports avec le sanctuaire phénicien du mont Éryx. Au dire de Solin, qui cite l’historien Cassius Hémina, Enée avait apporté de Sicile une statue qu’il consacra à Vénus Frutis (Veneri Matri, quæ Frutis dicitur). Servius parle de cette statue qu’il appelle Erycina. Enfin il y avait à Rome un temple nommé Fructinal, consacré à Vénus Frutis.

Ce mot Frutis, qui a embarrassé les latinistes, Scaliger supposait qu’on pouvait le tirer du nom d’Aphrodite. C’est le contraire qu’il faut faire. Il reproduit exactement la racine sémitique d’où le nom d’Aphrodite est tiré. Les Romains l’ont pris à sa source même, dans les traditions phéniciennes du sanctuaire d’où leur est venue la déesse qu’ils ont identifiée avec leur Vénus.

Du reste Cicéron connaissait parfaitement l’identité de Vénus et d’Astarté. Dans le curieux passage de son livre Sur la nature des dieux, où il distingue quatre Vénus différentes, il mentionne expressément l’épouse d’Adonis, c’est-à-dire, nous le verrons, l’Astarté phénicienne.

Les images de cette déesse à la colombe sont assez répandues ; on en peut voir une série au musée Campana. Le musée de Lyon en possède une en marbre qui a été trouvée à Marseille. Elle a sur la tête un boisseau, ou calathos, comme les statues d’Isis. C’est sans doute, ainsi que la colombe, un symbole de fécondité. M. le duc de Luynes, qui le premier l’a étudiée en érudit, y voyait une œuvre cypriote. M. François Lenormand est d’un avis différent. Dans un intéressant article qu’il lui a consacré (Gazette Archéologique, 1870. p. 138) il conclut de divers indices qu’elle est de travail grec, mais « de ces anciennes époques où l’influence des types de l’Asie était encore profonde sur la plastique des Hellènes. » Cette question est sans importance pour nous, puisque, dans l’une comme dans l’autre hypothèse, c’est en Orient qu’il faut chercher l’original de ces figures.

Elles représentent, nous l’avons dit, l’Astarté des Phéniciens, celle que la Syrie adorait sous le nom d’Aschéra, et que la Bible appelle Achthoreth, ou Astaroth, l’épouse de Baal ; elle formait avec lui un couple sacré. L’Ecriture sainte en fait, non sans raison, le démon de l’impureté.

En effet les mythographes modernes constatent son identité avec la Bilit,