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TABLEAU DU KALI YOUG OU ÂGE DE FER

site pas à affirmer le mensonge. La nature elle-même est changée. Le corps de l’homme est réduit de moitié. La végétation est presque nulle ; aussi beaucoup de gens meurent-ils de faim, et l’on ne peut nourrir les vaches qu’avec les feuilles destinées aux pourceaux.

Dans le Kali, les sacrifices et les bonnes œuvres sont rares ; il n’y a pas d’amis ; que dis-je ! le père vend sa fille et ce crime est fort commun. Les Brahmanes demandent honteusement de porte en porte, eux qui devraient nourrir les offrandes faites aux dieux ; aussi font-ils le service divin pour des gens de condition basse. Aucun d’eux n’a le sentiment de son devoir : ils se livrent tous au commerce et ils négligent les pratiques du culte particulières à la famille. Ils se couchent sans faire leur prière du soir ; ils n’ont aucun respect pour les Védas. Ils font violence au faible et ils traitent de criminel celui qui ne donne pas. Ils se moquent de celui qui leur reproche leur conduite ; car ils ignorent les obligations qui leur sont imposées. Les Védas et les Purânas leur sont en effet étrangers, et ils ne s’appliquent qu’à se procurer de l’argent. Il y a parmi eux beaucoup d’ignorants et des fourbes, mais on y trouverait difficilement un homme de mérite.

Sur cent personnes, une seule invoque Râma[1] ; aussi les crimes sont-ils nombreux et personne ne reconnaît la dignité des Brahmanes. Toutefois, celui dont la dévotion à Râma occupe l’esprit est à l’abri des malheurs du Kali ; mais les insensés ne connaissent pas ces choses ; ils ignorent même l’existence de la ville d’Yama[2].

Les gens du Kali négligent le service de Hari[3] ; ils ont la ruse dans le cœur et, sans crainte de la divinité, ils s’emparent du bien d’autrui.

Les Brahmanes sont censés aller aux lieux de pélerinage pour leur salut ; mais ce n’est en effet que pour s’y divertir[4].

Quant aux Kschatryias, ils ne s’appliquent pas non plus à l’aumône, ni à la

  1. On sait que Rama est une incarnation de Vischnou.
  2. C’est-à-dire « l’enfer. » Yama, le dieu de l’enfer, représente à la fois Pluton et Minos, car il juge les hommes avant de les envoyer en enfer.
  3. Un des noms de Vischnou.
  4. Le mot que je traduis par pélerinage est tirth, par quoi on entend plus spécialement le pèlerinage à des eaux sacrées et au confluent des rivières. On nomme tirth-râjâ « le Roi des tirths », c’est-à-dire le plus excellent des pélerinages, la ville d’Allahabad ou Prág, parce qu’il y a le confluent de trois rivières, le Gange, la Jamunn et la Saraswati. C’est ainsi qu’on nomme aussi cette ville Tribêni « les trois tresses. »