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TABLEAU DU KALI YOUG OU ÂGE DE FER

Les gens de qualité sont on petit nombre et ils adorent les pieds des Soudras. Ils sont obligés d’aller demander de maison en maison ; tandis que les gens des conditions les plus basses sont les plus heureux.

Dans le Kali, les Brahmanes sont sans instruction et sont obligés d’obéir aux Soudras. Ils font des choses blâmables ; aussi n’a-t-on pour eux aucune considération, et, bien loin de les accueillir, les repousse-t-on dédaigneusement. Il n’y a plus que les gens de la plus basse classe qui sacrifient aux dieux. Les prêtres de Nârâyan[1] se taisent (quand ils devraient parler) et ils font leur société des bayadères. Les Kschatriyas sont sans intelligence ; les rois ne s’entretiennent que de choses futiles. Quiconque tue un brahmane peut racheter son crime par la plus légère offrande.

Dans le Kali, tout le monde ment ; l’avidité règne partout. On ne respecte plus l’aîné de la famille ; on n’observe pas les fêtes ; on déserte les pèlerinages. On renonce aux bains sacrés ; on délaisse l’aumône. Le père n’hésite pas à vendre son fils pour satisfaire sa cupidité. Dans le Kali, tout le monde est débauché et avide de richesse ; on ne conserve de respect pour aucune chose, pas même pour l’arbre sacré des Banyans[2].

Les rois se livrent à tous leurs désirs et ils ne songent pas à la gloire. Ils ne rendent pas la justice et ils ne protègent leurs sujets qu’autant qu’ils en reçoivent des présents. Sans compassion pour les malheureux qui poussent des soupirs, ils s’attachent à inspirer la crainte. Plus de sagesse, ni d’équité, mépris absolu des Védas et des Purânas. On se laisse aller à ses passions avec une telle violence que le fils, par exemple, tue sa mère à cause d’une courtisane. Les vaches participent à la dégénération générale ; elles ne donnent que peu de lait et finissent par abandonner leurs veaux.

Dans le Kali, l’ignorance des devoirs est portée à son comble. Ainsi les pères meurent et laissent leur fortune à leurs enfants, et ceux-ci prennent le bien de leurs parents et le dissipent follement avec des femmes. Mais que dis-je ! le beau père enlève sa bru et en fait sa maîtresse ; on vit avec la femme de son frère aîné ; on ne respecte plus ni père ni mère, et les élèves jouissent de la femme de leur gurû[3]. Telles sont les indignités qui ont lieu dans le Kali.

  1. Un des noms de Wishnou.
  2. Ficus religiosa.
  3. « Directeur spirituel. »