Page:Annales du Musée Guimet, tome 1.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
TABLEAU DU KALI YOUG OU ÂGE DE FER

Dans le Kali, les serviteurs retiennent les sommes qu’ils touchent pour leurs maîtres livrés aux affaires. Les rois dépouillent de leurs biens ceux qui ne veulent pas participer à leurs actes criminels ; les Brahmanes entassent l’argent des amendes qu’on leur paye, sans en faire profiter personne. Telle est la conduite qu’on tient en cet âge. On quitte le service de Hari, on laisse la droite et bonne voie pour s’égarer dans les sentiers tortueux et pervers. On n’observe que bien rarement le onzième jour de la lune[1] ; bien rarement aussi on songe aux pèlerinages. La dépravation des mœurs accompagne l’irréligion ; les femmes se font avorter ; les veuves se font bâtir des maisons pour y habiter seules et elles vivent dans la débauche. Dans le Kali, les amis morts seuls sont ceux dont on n’a pas à se plaindre, car les amis vivants se querellent quand ils sont ensemble.

Dans le Kali, on fait le pûja[2] des dieux avec du riz seulement, tandis qu’on offre aux bayadères des fleurs d’un parfum exquis. Le meurtre est fréquent dans le Kali, et on commet sans crainte tous les péchés qui conduisent en enfer. On ne donne que lorsque l’intérêt particulier détermine à le faire : ainsi, on ne fait pas attention au pauvre honteux de sa misère et qui n’ose la faire connaître ; mais voit-on une jeune femme sans protecteur, on s’empresse gracieusement auprès d’elle.

Dans le Kali, on n’a aucune satisfaction à attendre de la part des Brahmanes ; ce n’est pas par leur entremise qu’on peut obtenir le salut. On n’offre, dans le Kali, aucune espèce de sacrifice ; on ne fait pas d’aumônes. Ce ne sont plus les dieux qui descendent sur la terre, mais les gandharbs[3]. Les hommes corrompus de cet âge agréent ces incarnations ; mais ils méconnaissent les gens vertueux et les Sâdhs. Quant aux pénitents, ils se retirent du monde afin de se sauver ; et ils effacent leurs fautes au onzième jour de la lune.

  1. Le onze des deux quinzaines de chaque mois lunaire est spécialement consacré à Vischnou. Le jeûne, entre autres, est fort méritoire en ce jour pour l’expiation des fautes.
  2. Nom de l’espèce de sacrifice accompli habituellement par les Hindous.
  3. Musiciens du ciel d’Indra.