Page:Annales du Musée Guimet, tome 13.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
7
LE RÂMÂYANA.

dénié. N’importe ; on trouvera toujours qu’il marche trop au gré de la fantaisie personnelle des rhapsodes et que, par suite, il sacrifie outre mesure au fantastique et aux fantasmagories.

S’il fallait classer le Râmâyana dans l’échelle des genres littéraires, je dirais, vu qu’il embrasse toute la vie de Râma, que c’est un roman biographique merveilleux de l’espèce de l’Odyssée, relatant, comme l’Odyssée, les courses et les aventures de son héros[1] et étant, comme elle encore, fortement empreint de mysticisme. L’élément religieux sentimental pénètre d’ailleurs et enveloppe le Ràmàyana tout entier, sans doute parce que Râma, tout aussi bien que Krishna, a été de bonne heure le centre d’un culte populaire. Et sur ce point, la chose est toujours allée crescendo. Le sanctuaire principal de Râma, Ramesseram (avec Ramnad) en face de Ceylan, est un lieu de pèlerinage pour toutes les populations de l’Inde. Il y en a un autre également très fréquenté à Valukeshvar près Bombay, avec un étang sacré, le vànatîrlha, que Râma a fait jaillir du sol par un coup de flèche[2]. Quand un Indien parle de Râma, de ses prouesses et prodiges, c’est toujours avec un air de triomphe qui n’admet pas qu’un héros biblique, Josué ou Samson par exemple, ait pu faire quelque chose de plus merveilleux[3]. Et cela doit être. Le culte de Râma nous montre en effet ses racmes déjà dans l’Ailarèya, le brâhmana du Rig-Veda[4]. Dans ce rituel d’observances et de pratiques, tout à la fois ou tour à tour formalistes, kaballistes, légendaires, mythologiques et symboliques, qui passe pour inspiré sans avoir pour cela de caractère dogmatique, on voit le héros affilié ou associé aux brahmanes et remplir on cette qualité de brahmahandhu le rôle de défenseur de la religion védique contre les Kshatriyas, les possesseurs aborigènes du sol de l’Inde. Par ainsi ils étaient les champions nés de la religion indienne primitive, le dravidisme, devenue ensuite, par le travail philosophique qu’un des leurs, le kshatriya Çâkya, opéra sur elle, la doctrine de la maitri, la bienveillance universelle, et du nirvâṇa la fin amorphe et anonyme de tout organisme, c’est-à-dire le buddhisme[5]. Avec le surnom

  1. C’est par l’expression de vias Ulyxi que Stace (Silvarum l. II, 7, 50) désigne l’Odyssée.
  2. V. Graul, Reise in Ostindien, II, p. 50, 134, 253, 260.
  3. Dubois, l. c. II, 385.
  4. V. l’Aitareya-Brâhmana, XXXV, 1 ; éd. Aufrecht, p. 207. — Roth, Zur Litteratur und Geschichte des Weda, p. 118 sq.
  5. Le buddhisme est ainsi en principe antérieur au brâhmanisme, et cette ancienneté explique l’importance du rôle que les Kshatriyas jouent comme discoureurs religieux dans les origines du brâhmanisme