Page:Annales du Musée Guimet, tome 4.djvu/68

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manique, est pourtant d’une portée assez générale, assez humaine, au sens large du mot, pour provoquer notre intérêt par cela seul. Cet ouvrage, le Pantcha-tantra, s’est, en effet, comme nous le verrons, répandu dans tout l’ancien continent ; il y a joui d’une popularité à laquelle n’est comparable, ainsi que le remarquait déjà M. Silvestre de Sacy au commencement du siècle, que celle de la Bible et de l’Évangile. La cause de ce succès n’est pas exclusivement due, c’est vrai, et nous aurons occasion de le montrer tout à l’heure, au caractère universel des idées que contient le livre ; la forme littéraire qui les enveloppe, celle du conte, a beaucoup contribué aussi à leur frayer une voie dans la bouche des hommes. Mais qui ignore pourtant combien les vérités générales, les lieux communs, si l’on veut, réduits en axiomes bien frappés et sonores, ce que les Grecs ont appelé γνῶμαι, exerçaient d’attrait sur les esprits dans l’antiquité et au moyen âge ? Or le Pantcha-tantra se compose de vers gnomiques insérés dans des récits auxquels ils servent, pour ainsi dire, de commentaire moral perpétuel. Nous avons là comme une combinaison d’Esope et de Théognis. C’est vous donner une première idée de l’aspect général du livre et d’une des raisons qui lui ont valu jadis une aussi prodigieuse fortune auprès du peuple et des lettrés.

Pour nous, ces vieux contes, dont un bon nombre — par suite d’une filiation que nous essaierons de rétablir — sont de vieilles connaissances avec lesquels Perrault, la Bibliothèque bleue et les fabulistes nous ont familiarisés dès l’enfance, nous intéresseront, je l’espère, à d’autres égards encore. Notre Lafontaine l’a dit avec la naïveté piquante qui lui est propre :

Si Peau-d’Âne m’était conté
J’y prendrais un plaisir extrême.

Nous en sommes tous là, plus ou moins curieux de récits traditionnels par inclination native. Mais nous sommes curieux aussi et surtout de connaître le comment et le pourquoi des choses ; et quand il s’agit de littérature, par exemple, la succession historique des formes de la pensée dans un domaine déterminé. J’ai spéculé, je l’avoue, sur ce double penchant dans le choix du sujet de mes leçons, et j’ai cru pouvoir le satisfaire à l’avantage commun du