Page:Annales du Musée Guimet, tome 4.djvu/73

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le mot dans son acception moderne. C’est ce mélange d’empirisme, de prudence et d’habileté machiavélique qui a constitué de tout temps une sorte de sagesse pratique à l’usage des rois absolus de l’Orient et même d’ailleurs, et qui, depuis les Proverbes de Salomon jusqu’aux Fables de Lafontaine, a souvent été présentée sous la forme générale et impersonnelle de maximes ou d’apologues. Ainsi le voulaient la sécurité de l’auteur et les nécessités du but à atteindre qui était plutôt encore, évidemment, de prévenir les excès du despotisme que de lui faciliter les voies et les moyens. On trouvait là, en effet, un expédient pour faire sans trop de risques une sorte d’opposition aux mauvais princes et les inviter, dans leur intérêt même, à la modération. Les thèmes ésopiques célèbres des Grenouilles qui demandent un roi et des Noces du soleil nous font voir d’ailleurs, qu’en Grèce même, il fut un temps où cette méthode indirecte pouvait s’appliquer au peuple dans ses rapports avec le roi et réciproquement.

Mais quels qu’aient été le titre et l’objet primitif du Pantcha-tantra, le livre eut dans l’Inde d’abord un succès considérable. C’est ce que prouvent à l’envi et la refonte complète dont je parlais tout à l’heure, refonte indiquée par la comparaison des textes actuels avec les anciennes traductions sémitiques, et les différences notables que les textes sanskrits que nous possédons présentent entre eux, et aussi le grand nombre de compilations indigènes postérieures, qui, sous le couvert d’un autre intitulé, se sont enrichies des dépouilles de leur devancier. Nous suivons ainsi la trace d’éditions — comment désigner autrement le fait, quoiqu’il s’agisse de copies manuscrites ? — qui se sont succédé pendant plusieurs siècles et à de courts intervalles. Et alors comme aujourd’hui, que] signe plus éloquent du succès et de la popularité d’un ouvrage ?

Ce succès, nous avons déjà eu l’occasion de le dire, ne fut pas moindre en dehors de l’Inde, d’où le Pantcha-tantra sortit par deux voies diamétralement opposées : celle que lui frayèrent les émigrations bouddhistes vers la Chin et le chemin qu’il prit dans la direction de l’Occident à la suite des Arabes.

Nous nous occuperons d’abord de celui-ci, bien qu’il semble postérieur en date à l’issue qu’ouvrirent les bouddhistes à la littérature mythique de l’Inde.