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introduction

Mais, dans Doon de La Roche — c’est toujours la rédaction N que nous avons spécialement en vue — ce thème de la femme calomniée ne forme que le début du récit ; le reste de l’histoire appartient à un autre thème, qu’on peut désigner comme celui de « la femme persécutée, maltraitée pendant des années, finalement délivrée et vengée par son enfant [ou ses enfants] ». En effet, dans N, nous voyons Olive enfermée pendant des années dans une prison effroyable, avec un pain grossier et une cruche d’eau pour toute nourriture ; c’est son fils Landri, devenu grand, qui l’en tire et qui la venge en châtiant les traîtres qui la persécutaient. — Dans la version de F, il n’est pas question de prison : Olive est réduite à une position humiliée et précaire ; elle perd ses droits d’épouse et est réléguée dans une maison située hors de ville, où elle vit dans la misère, avec son jeune enfant, qu’on considère comme bâtard ; pour sa nourriture, on ne lui donne que deux pains par jour (v. 514 et suiv.). Tout cela a l’air d’une version adoucie du récit primitif[1].

  1. Dans F, aux v. 902 et suiv., Audegour, la seconde épouse de Doon, accuse celui-ci de continuer à entretenir des relations avec sa première femme répudiée : Ainz maintenez a tort dame Olive de France, Chascun jor i gisiez quant il vous atalente. M. Benary considère ce trait d’une sorte de bigamie comme primitif et archaïque (voir p. 365-366 de son mémoire). Mais il faut remarquer, d’abord, que, dans ce vers, ce n’est pas le poète qui parle en son propre nom : il fait parler Audegour en fureur, disant du mal d’une rivale. Ensuite, il faut rapprocher ce propos d’autres passages du poème, où Audegour accuse Olive de vivre en prostituée (v. 915 et suiv., 930-931, 945 et suiv.). De même, Tomile avait essayé de faire croire à Pépin qu’Olive s’abandonnait à tous les hommes qui la désiraient (v. 581 et suiv.). Le véritable sens de l’accusation d’Audegour aux v. 902 et suiv., est, par conséquent, que Doon est un des nombreux amants de sa première femme, devenue une vraie courtisane. Interprétés ainsi, à la lumière d’autres passages de la chanson, les vers qu’invoque M. Benary ne se rapportent plus à une véritable bigamie, et ils perdent le caractère que leur donnait l’explication du savant allemand.