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LES LANGUES ET LES NATIONALITÉS AU CANADA

que pour attacher à l’Angleterre tous ces immigrés, dont la plupart n’ont pas la moindre idée des institutions britanniques, le meilleur moyen soit de leur susciter toutes sortes de difficultés dans l’usage de leur langue maternelle, et de les obliger per fas et nefas à apprendre la langue qui est parlée de l’autre côté de la frontière voisine ? Est-ce que tous ces étrangers, aussitôt qu’ils vont pouvoir parler convenablement l’anglais, ne vont pas se tourner nécessairement du côté des États-Unis qui sont tout proche, plutôt que du côté de l’Angleterre, qui est si loin ?

En parlant de la coercition, par rapport aux langues, dans les pays d’Europe, nous avons vu que la tentative faite par Combes d’empêcher les Bretons de parler leur langue avait eu pour résultat de réveiller en Bretagne les vieilles tendances séparatistes, qui étaient mortes et enterrées depuis des siècles et que tous les efforts du gouvernement prussien pour germaniser les Polonais, les Danois et les Alsaciens-Lorrains, n’avaient fait que les rendre plus hostiles à l’Allemagne. Au Canada, les mêmes causes produiront nécessairement les mêmes effets ; et toute tentative pour obliger un groupe d’étrangers à apprendre l’anglais l’éloignera de l’Angleterre, au lieu de le lui rallier.

Ces entreprises contre la langue maternelle d’un groupe quelconque, toujours injustes, aboutissent donc fatalement à un lamentable fiasco. Mais, dans les autres pays où on les a tentées, elles s’expliquaient, si elles ne se justifiaient pas, par les apparentes exigences de la politique ; exigences dont il n’existe même pas l’ombre au Canada, bien au contraire.

Car, supposons qu’on ne parle français qu’en Lorraine et dans la province de Québec, et que la France soit, comme l’Allemagne, un pays de langue allemande. Croyez-vous qu’après la conquête de 1870, Bismarck et ses successeurs auraient fait tant d’efforts pour empêcher les Lorrains de parler français et les obliger à apprendre l’allemand ? — Oh ! que nenni ! Le vieux Bismarck était une canaille, mais ce n’était point un fou ; et quand il se trompait, il ne le faisait pas exprès. Plutôt que de faciliter les relations entre le pays conquis et ses anciens possesseurs, il aurait sacrifié, sans scrupules, l’unité de langage de l’Empire allemand et, que cela fasse ou non