Page:Anonyme - Macaire, chanson de geste.djvu/103

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Préface.

n’ont d’autre but que le gain. Lucri gratia ita composita[1].

Voilà donc notre auteur et ses confrères accusés d’être plus sensibles à l’argent qu’à la vérité et à la gloire. Peut-être y a-t-il un peu d’humeur dans ce jugement du moine de Trois-Fontaines. Peut-être se place-t-il trop exclusivement à son point de vue d’historien. Cependant, il ne laisse pas de rendre justice à la chanson de la Reine Sibile, puisqu’il la trouve fort belle ; et, d’autre part, si l’on remarque que cette chanson est anonyme comme presque toutes les autres compositions du même genre et du même âge, on est disposé à croire que ce clerc a bien jugé les littérateurs laïques de son temps. S’ils avaient visé à l’honneur plus qu’à l’argent ou seulement autant, auraient-ils négligé de signer leurs ouvrages ? La signature se montre avec la prétention à l’art, c’est-à-dire à la gloire, et voilà pourquoi, selon moi, il y a bien moins de compositions anonymes dans le second âge de la poésie française que dans le premier, dans la période qui commence à Chrestien de Troyes que dans celle qui précède.

Quoi qu’il en soit, cette question en amène une autre, celle de savoir comment notre poëte put réaliser le gain en vue duquel il écrivit sa chanson, s’il en faut croire le moine de Trois Fontaines. De deux choses l’une : ou il était son propre éditeur, c’est à-dire qu’il s’en allait lui-même débiter son récit, ou il lui fallait traiter avec les jongleurs, ces éditeurs ambulants du

  1. Voyez ci-dessus, p. xiii.