Page:Anonyme - Macaire, chanson de geste.djvu/85

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Préface.

cher, ce bon traître du moyen âge, ce traître de regrettable mémoire, trop naïvement scélérat, trop niaisement pervers pour donner à personne l’envie de lui ressembler, et, quoique je déplore la transformation qu’il a subie de nos jours pour devenir un rusé, un madré, un spirituel coquin, pour se changer enfin de Macaire tout court en Robert-Macaire[1].

Ce qui m’intéresse, c’est le personnage de Varocher, de ce brave bûcheron, si compatissant, si honnête, si dévoué, qui dans l’accomplissement des devoirs que sa générosité s’impose, se révèle à lui-même, se sent grandir, se juge de taille à être chevalier, veut le devenir, le devient, et se montre digne de ceindre l’épée et de chausser l’éperon d’or.

On dirait que notre poëte a tracé d’avance le portrait d’un de ces enfants du peuple, d’un de ces paysans à l’écorce grossière, mais à la sève généreuse, au cœur chaud et héroïque, que la France moderne a vus plus d’une fois conquérir une épée et se montrer capables des mêmes vertus, des mêmes exploits que les plus hauts barons dont l’histoire ait gardé le souvenir.

Une telle figure dans une œuvre de ce temps-ci serait encore faite pour plaire, pour exciter l’admiration, mais non certes la surprise. Dans la littérature des temps féodaux, elle produit l’effet d’une découverte. Passe encore s’il s’agissait d’un bourgeois ; mais Varocher n’est qu’un vi-

  1. Cette transformation a été déjà indiquée et expliquée dans la préface de Gui de Nanteuil.