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iii. - les divers états du poème

Gautier peut légitimement, sans défi préalable, envahir, au bout de quelques années, la terre des hoirs de Herbert (tir. clxxxv et suiv.), au lieu que dans la chronique (§§ 5 et 6), il y a défi et duel en présence du roi. À la vérité, il y a bien aussi dans le poème un combat singulier : il y en a même deux[1] ; mais le premier a lieu à la suite de conventions particulières où le roi n’a pas à intervenir, et le second est le résultat d’une rencontre fortuite. De plus — et nous touchons ici à une différence capitale entre les deux formes du récit, — selon la chronique, le combat que se livrent, trois jours durant, Bernier et Gautier est suivi d’une paix définitive, tandis que dans le poème ce duel est suivi, à peu de jours d’intervalle, d’une mêlée confuse dont le palais même du roi est le théâtre, et à la suite de laquelle Gautier et Guerri, d’une part, Bernier et les fils Herbert, d’autre part, c’est-à-dire les ennemis irréconciliables de tout à l’heure, s’unissent pour faire la guerre au roi. Cette scène, en elle-même assez peu acceptable, et d’ailleurs médiocrement amenée, termine la première partie (partie rimée) de notre poème. Il est certain qu’elle n’était pas connue du chroniqueur de Waulsort, qui conclut son récit d’une façon beaucoup plus naturelle.

Il se peut que telle ou telle des différences que nous venons de constater soit plus apparente que réelle. Il n’est pas impossible que le chroniqueur monastique ait modifié, çà et là, plus ou moins intentionnellement, les récits de la chanson de geste. Ainsi ce qu’il dit, en terminant, de la fondation par Eilbert de Saint-Michel en Thiérache ne vient peut-être pas du poème ; mais, tout en faisant la part de ce qui peut raisonnablement être attri-

  1. Voy. ci-dessus, p. viij.