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de Robinson Crusoé.

faisoit monter les vapeurs au cerveau ; dans cette détresse de mon ame, ma langue articuloit je ne sais quoi d’une façon imparfaite & purement machinale ; mais ce n’étoient qu’exclamations, comme qui diroit : Grand dieu ! que je suis misérable ! si mon mal continue, je mourrai faute d’assistance : Mon dieu ! que deviendrai-je ? Après ce peu de paroles, un ruisseau de larmes coula de mes yeux, & je tombai dans un long & profond silence.

Dans cet intervalle se présentèrent à mon esprit les leçons salutaires de mon père, & puis la prédiction rapportée au commencement de cette histoire, qui disoit que, si je faisois cette fausse démarche d’aller courir par le monde, Dieu ne me béniroit pas ; & que j’aurois à l’avenir tout le loisir de réfléchir sur le mépris que j’aurois fait de ses conseils, quand peut-être il n’y auroit personne pour m’aider à en réparer la perte. « C’est à présent, m’écriai-je tout haut, c’est à présent que s’acomplissent les paroles de mon père : le bras d’un Dieu vengeur m’a atteint ; il n’y a personne pour m’assister ni pour m’entendre : j’ai rejetté la voie de la providence, qui, par sa bonté infinie, m’avoit placé dans un état de vie où je pouvois être heureux, & dont je n’ai pas voulu jouir, ni connoître le prix, malgré mes parens, que je laissai dans un deuil, qui