j’aurois vécu comme un véritable sauvage, si j’eusse tué un bouc ou un oiseau par quelque nouveau stratagême, je n’aurois pas su comment écorcher le premier, ni comment éventrer l’un & l’autre ; ensorte qu’il m’auroit fallu employer & mes ongles & mes dents, à la façon des animaux de proie.
Ces réflexions me rendoient très-sensible à la bonté de la providence à mon égard ; & très reconnoissant envers elle pour ma condition présente, quoique non exempte de peines & de misère. Je ne puis m’empêcher de recommander cet endroit de mon histoire aux méditations de ceux qui, dans leur malheur, sont sujets à faire cette exclamation : Y a-t-il une affliction semblable à la mienne ? Que ces gens-là, dis-je, considèrent combien pire est le sort de tant d’autres, & combien pire pourroit être le leur, si la providence l’avoit jugé à propos.
Je faisois encore une autre réflexion qui contribuoit beaucoup à fortifier mon esprit, & à remplir mon cœur d’espérances ; c’étoit le parallèle de l’état où je me voyois, à ce que j’avois mérité, & à quoi par conséquent j’aurois dû m’attendre, comme à un juste salaire que j’aurois reçu de la main vengeresse de Dieu. J’avois mené une vie détestable, sans connoissance ni crainte de mon Créateur. Mes parens m’avoient donné