CHAPITRE III.
Histoire de Lucinde.
UN jour que mon frère avoit été invité d’une
partie de chasse, revenant à pied avec Ardillan, ils
trouvèrent, en rentrant par une des portes du parc,
une jeune personne, le visage couvert de larmes,
qui se jeta aux pieds d’Ardillan. Je viens, lui dit-elle,
seigneur implorer votre justice contre deux de
vos gardes qui viennent d’assassiner mon père ; ces
misérables, non contens d’avoir tiré sur lui deux
coups de fusil, l’ont encore assommé à coups de
crosse. Ardillan voulut la relever. Non, lui dit-elle,
seigneur, je vous proteste que je ne quitterai point
vos genoux que vous n’ayez ordonné de faire amener
devant vous les cruels assassins qui viennent
d’ôter la vie a mon père.
Ardillan, surpris de l’action & de la fermeté de cette jeune personne, ordonna à un de ses gens de faire venir tous ses gardes. Alors mon frère lui présenta la main pour l’aider à se relever, & s’appercevant à la pâleur de son visage qu’elle étoit prête à s’évanouir, il la fit asseoir sur un banc qui se trouva près d’eux. Rassurez-vous, ma belle fille, dit Ardillan, en s’asseyant à côté d’elle & lui prenant une de ses mains qu’il serroit dans les siennes,