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Les aventures

rien n’étoit plus propre à rendre l’homme heureux que la médiocrité. Qui n’eût pas cru que, dans cette agréable situation, ce goût né avec moi pour les voyages & pour les aventures, seroit évaporé avec le feu de ma jeunesse, & qu’à l’âge de soixante-un ans, je serois au-dessus de tous les caprices capables de tirer quelqu’un de sa patrie ?

D’ailleurs, le motif ordinaire qui nous détermine à ce parti, ne pouvoit plus avoir lieu chez moi ; il ne s’agissoit plus de faire fortune ; &, à parler sagement, j’étois dans un état où je ne devois pas me croire plus riche par l’acquisition de cent mille livres de plus ; j’avois du bien suffisamment pour moi & mes héritiers : il s’augmentoit même de jour en jour ; car ma famille étant petite, je ne pouvois pas dépenser mes revenus, à moins que de me donner des aires au-dessus de ma condition, & de m’accabler d’équipages, de domestiques, & d’autres ridicules magnificences, dont j’avois à peine une idée, bien loin d’en faire les objets de mon inclination. Ainsi, le seul parti qu’un homme sage auroit pris à ma place, eût été de jouir paisiblement des présens de la providence, & de les voir croître sous ses mains.

Cependant, toutes ces considérations n’avoient pas la force nécessaire pour me faire résister long-tems au penchant que j’avois de me perdre de