CHAPITRE VII.
JE me nomme Bengib, dit le more, & j’ai pris naissance dans une île de la grande mer, située à l’orient de l’Amérique, & qui n’en est pas éloignée. Je suis l’aîné de trois frères à qui la nature n’avoit pas donné la même force de corps, ni la même vivacité d’esprit que j’ai eue en partage ; mais ces dons, au lieu de me profiter, ne servoient qu’à faire tomber tout le travail sur moi, tandis que mes parens épargnoient mes frères. Ainsi, la nature, en me donnant des qualités préférables à celles des autres, n’avoit travaillé qu’à me rendre plus malheureux.
Cependant soit par fermeté d’ame soit par légèreté d’esprit, je ne me suis jamais révolté contre l’injustice de ma destinée, & j’ai toujours regardé sans dépit les malheurs qui me sont arrivés.
Lorsque mes parens furent trop affoiblis par l’âge pour que mon travail seul pût fournir à leurs besoins & à ceux de mes frères ils résolurent de me vendre pour avoir tout d’un coup de quoi subsister le reste de leur vie. Il vint dans